Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

alarme. Elle s’était contentée de répondre : « Il n’y a rien de plus galant que votre billet. Si la pensée de faire votre examen de conscience vous inspire de telles choses, je doute que la contrition soit forte. Je vous assure que je fais tout le cas de votre amitié qu’elle mérite que l’on en fasse et je crois tout dire en disant cela. Adieu jusques à tantôt. Je ne vous promets qu’une heure de conversation, car il faut retrancher ses divertissements ces jours-ci. » M. Ménage ne comptait pas retrancher ses divertissements le moins du monde. Il avait de l’entêtement, plus que d’amour. La petite leçon que lui avait donnée son amie lui profita si peu qu’il retomba dans son péché et mérita une nouvelle réprimande : « Vos lettres sont bien galantes. Savez-vous bien que vous y parlez d’adorateur et de victime : ces mots-là font peur à nous autres qui sortons fraîchement de la semaine sainte. Adieu. » Mais enfin, Mme de La Fayette n’était point fâchée. Elle donnait à son avertissement le ton d’un badinage où il faut donc qu’une jeune femme rappelle un abbé à la dévotion. Et elle parlait d’autre chose à Ménage ; elle lui parlait d’une épigramme latine qu’elle s’efforcerait de déchiffrer ; elle lui parlait de M. du Lude, qui venait d’être nommé capitaine et gouverneur du château de Saint-Germain. Ménage, après cela, se tint tranquille un peu de temps. Il redoubla d’assiduités auprès de Chloé, soit qu’il trouvât près d’elle une sorte de consolation, soit qu’il lui plût d’exciter ainsi la jalousie de Laverna : du moins l’espérait-il. Mais Laverna ne fut point jalouse. Au mois de novembre, fâché d’être mal entendu, il ne se contenta plus d’écrire des billets galants : il écrivit une lettre enflammée. Il se disait « enchanté : » Mme de La Fayette crut seulement qu’il avait la cervelle à l’envers. Elle le secoue et, tout de bon, le menace de se brouiller avec lui. Et c’est lui alors qui se fâche. Sa lettre est perdue ; mais voici la réplique de Mme de La Fayette : « Je n’ai jamais vu écrire si sèchement aux gens qu’on ne les aime plus et je n’ai jamais vu une amitié mourir si subitement que la vôtre. Je crois qu’elle n’est qu’évanouie et je ne consentirai pas à son enterrement que je ne sois bien assurée de sa mort. C’est pourquoi je vous prie que je vous voie demain : je ne sortirai point encore. » Elle avait résolu d’avertir le trop bouillant Ménage ; mais elle n’attachait pas tant d’importance à des tournements de cervelle qu’il lui plût de le perdre pour de telles folies. Il fallait causer avec lui. Or,