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Mme de La Fayette et vous. Je ne m’en suis pas étonné, car je sais ce que c’est qu’amantium irae. » Ménage détesta ces lignes de son ami et voulut savoir comment son ami était informé. Il reçut cette réponse : « Je sais ce que je vous ai mandé de votre prétendue brouillerie avec Mme de La Fayette d’une personne que nous avons vue ensemble à Paris, vous et moi, et qui n’est pas inconnue à Mme de La Fayette. Je ne vous dirai ni son nom ni son sexe, ne le pouvant pas sans manquer à la fidélité et au secret. Puisque je ne vous le dis pas après la conjuration que vous m’en avez faite par notre amitié, vous devez croire que quelque empêchement invincible me retient et cet empêchement n’est autre que la promesse que j’en ai faite, que pour rien au monde je ne voudrais violer, tout Normand que je suis. » Ménage devina-t-il ? En tout cas, il n’avait pas démenti et n’avait pu démentir l’indiscret. Il avouait la brouillerie, tout en la réduisant peut-être au moins possible, car Huet ne parle cette fois que d’une prétendue brouillerie.

Cette brouillerie, quelques billets de Mme de La Fayette permettent qu’on en devine le principal. Un jour, — et ce dut être au commencement de novembre en 1662, — elle écrit à Ménage : « Je n’irai point à Chaillot, parce qu’il ne fait pas assez beau et je veux me reposer. Mais savez-vous bien que vous ne me verrez plus, si votre amitié augmente si fort. Vous savez bien quelles bornes j’y ai mises. Votre lettre est si douce que, si vous m’en écriviez souvent de pareilles, je vous gronderais bien fort. Prenez bien garde que nous ne nous brouillions en vérité. Je ne crois pas aux enchantements, mais je crois aux tournements de cervelle. » C’est assez clair. Ménage, évidemment, a cédé à quelque impulsion vive ; il est sorti de la réserve à laquelle tout (et Mme de La Fayette aussi) lui commandait de se tenir. Depuis des années, il célébrait en vers latins, italiens et français l’amour qu’il avait conçu pour cette jeune femme. Il fut imprudent et risqua de faire passer de la poésie à la prose, de la prose à la réalité ses déclarations chaleureuses.

Ce n’était pas tout à fait la première fois qu’il allait un peu loin. Il avait commencé d’aller un peu loin, mais d’abord avec précaution, vers la fin de mars ou le début d’avril de cette année 1662, environ la semaine sainte. Il avait mis un peu plus de galanterie que de coutume dans un de ses billets. Et Mme de La Fayette l’avait remarqué, peut-être avec surprise, mais sans