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l’on voit son prochain de si près que l’illusion n’est plus possible. Il fut aux prises avec une cabale, dit-il, de ces dévots qui condamnent ce qui n’est pas dévot à leur manière. Il eut aussi à défendre ses intérêts contre des « chicaneurs » de Normandie : comme il était normand lui-même, il ne cédait pas. Pour se divertir, il s’avisa d’être amoureux. Ma foi, je ne sais pas de qui ; et je crois que l’anonymat convient à l’objet de sa flamme. Il écrivit à Segrais qu’il avait trouvé « chaussure à son pied. » Mais, avant de consentir à être amoureux, comme c’était si simple et indifférent à l’Histoire, il eut l’idée extravagante, et qui le flattait et qui l’amusait, — les érudits ne songent qu’à s’amuser ! — d’instituer à ce propos une consultation de ses amis. Un « conseil » se réunirait, composé de Segrais, de Ménage et de Mme de La Fayette. Il voulut savoir si Mme de La Fayette lui « conseillait » d’être amoureux. Et il écrit à Ménage le 14 juillet : « Dites-moi votre avis, et me le dites promptement ; car, si vous différez, je ne serai plus en état de le suivre. » La hâte ici est moins absurde que la précaution. Mme de La Fayette répondit que, non, M. Huet ne devait pas être amoureux : elle était ennemie de l’amour, on le sait ; puis, un homme qui vous demande s’il aura de l’enthousiasme, il faut lui dire qu’il n’en a pas. M. Huet passa outre aux conseils de Mme de La Fayette et alla « rire » quelquefois avec « celle qu’on lui déconseillait. « Pour s’excuser, il observa que sa vie était, sans cela, triste à l’excès ; et il interpréta une lettre de Segrais de telle sorte que Ménage n’eût point l’air d’avoir voté non : « Je suis bien aise que votre avis se rencontre avec mon inclination. » Ménage répliqua : il était bel et bien de l’avis de Mme de La Fayette. M. Huet se fâche : Ménage n’a-t-il pas donné à l’amour ses plus belles années, ne l’a-t-il pas chanté en vers nombreux ? Et puis il est trop tard : « Vous me disiez, il y a huit jours : Aimez ; et vous me dites aujourd’hui : N’aimez point. Me croyez-vous si lent à suivre vos conseils que j’en diffère l’exécution d’une semaine, ou me croyez-vous si maître de mes passions que je puisse vaincre, à lettre vue, un amour de huit jours ? Sachez que votre conseil est venu trop tard. J’avais fait mes vœux et ma profession. » Il ajoute : « Et, n’en déplaise à Mme de La Fayette, qui condamne l’amour sans l’avoir jamais écouté, qu’elle aime trois jours seulement, et puis elle m’en dira des nouvelles !» Ce ton gaillard n’est pas sans vulgarité aucune.