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été indifférent, oublieux même : un tel soupçon lui est insupportable. Il voulait écrire à Mme de La Fayette, il n’ose plus le faire : il le fera quand cette dame, « qu’il est impossible d’oublier, » sera tout à fait remise. Désormais, il ne négligera pas de joindre à chacune de ses lettres ses « humbles compliments » pour l’amie de M. Ménage.

Mais, au mois de novembre. Mme de La Fayette n’était pas remise. M. Ménage s’en désolait : « La pauvre femme, écrit-il le 12, est toujours fort mal et je commence à désespérer qu’elle puisse guérir de ses maux. » M. Huet, le 20, s’en déclare « extrêmement fâché. » Une lettre de Mme de La Fayette, du lendemain, fut pour le rassurer à demi : « Quoique je sois accouchée très heureusement, contre toutes les apparences, et que l’on travaille à me guérir avec assez de soin, l’on y avance si peu que je n’espère pas mieux de ma santé que lorsque vous étiez ici. Je crois que ma destinée est de n’en point avoir ; et je m’y soumets avec une patience qui adoucit mes maux, au lieu que l’inquiétude les aigrirait. » Voilà ce qu’un savant n’eût pas trouvé, tant la science est peu de chose dans l’art de vivre : ces nuances de sentiment, et les mots justes pour rendre l’idée et le son même de l’idée, voilà ce qui enchante le savant surpris.

Ménage avait dit à Mme de La Fayette que M. Huet ne la nommait seulement pas en écrivant. Elle a pardonné, avec une grâce indulgente, et affirmé qu’elle croyait à l’amitié de M. Huet. Pourtant, ce n’est pas un joli tour qu’a joué Ménage à M. Huet. L’année suivante, au mois de mai, M. Huet eut sa revanche. Mme de La Fayette lui écrivit : « Ne vous adressez plus à M. Ménage pour vos compliments, car il s’en acquitte très mal. Il ne m’a pas dit un seul mot de vous et je vous préviens que je lui en ferai des reproches de votre part. » A toi, Ménage ! Et M. Huet ne balança point d’écrire à M. Ménage : « Je commencerai ma réponse par un reproche qui me donnerait bien de la confusion si je le recevais de vous. Mme de La Fayette m’a écrit en propres termes... » Et il transcrit... « Je n’ai rien à vous ajouter là-dessus. » Ménage fut assez piqué ; Ménage, à ce qu’il semble, fit une scène. Il réplique : « Ce que Mme de La Fayette vous a dit de moi n’est point véritable ; et je l’en ai convaincue en présence de son mari. » Le témoignage de M. de La Fayette acheva cette polémique des admirateurs de sa femme.

A Caen, l’été 1661, Huet connut l’ennui des petites villes où