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secours et, avec l’aide de Ménage, elle est « venue à bout » de ce latin de M. Huet.

Elle ne travaille pas beaucoup, mais elle travaille un peu. Elle fait plus de progrès qu’elle ne l’avoue. Au printemps de l’année suivante, elle est à Fresnes ; et elle écrit à Ménage : « Je gouverne fort mal Horace en votre absence. Je fais venir un dictionnaire, et un dictionnaire poétique, pour m’aider en certains endroits dont je ne me saurais tirer. » Même si Horace la gêne, c’est joli de le déchiffrer. A Caen, M. Huet fut jaloux de M. Ménage ; et l’idée lui vint d’être aussi le maître de Mme de La Fayette : pour l’hébreu ! Mais elle se récrie : « Si vous saviez comme mon latin va mal, vous ne seriez pas si osé que de me parler d’hébreu. Je n’étudie point et, par conséquent, je n’apprends rien. Les trois premiers mois que j’ai appris me firent aussi savante que je le suis... » Elle est modeste : en outre, elle se défend.

M. Ménage et M. Huet, ces deux savants, sont amusants de zèle et d’émulation près de cette jeune femme qui a de la patience, de la bonté, de la curiosité même pour leur latin, leur grec et leur hébreu.

L’érudition divertit ses fidèles et les enchante. Il n’est de passe-temps meilleur : et c’est, à cause de la beauté de ses objets, à cause de la découverte fréquente et à cause de la minutie indispensable, un tracas et un plaisir. Les poètes sont volontiers mélancoliques, ayant du loisir dans les intervalles de l’inspiration ; les érudits ne le sont pas : ils n’ont pas le temps. Les érudits sont des gens qui trompent leur monde ; on les croit sévères et un peu tristes, parce qu’ils font une besogne que l’on croit ennuyeuse : ils s’amusent ! Les gens frivoles ne savent pas ce que c’est que la frivolité. Du moins, ils n’en connaissent qu’une, la leur. Il y a toutes sortes de frivolités : nulle ne passe la frivolité de l’érudition. Mais enfin, telle que la voilà, douce et attrayante à qui la veut aimer, elle a un tort, l’isolement où elle vous confine. Elle vous laisse et vous donne aussi des camarades : pas de femmes ! Elle a, en dépit de sa gaieté, cette jalouse austérité. Elle est une ferveur où vous n’êtes point de compagnie avec la chère âme des femmes. La chère âme des femmes vous ignore, ou bien vous traite avec une déférence lointaine, un peu craintive, effarouchée. Vous ne sauriez facilement l’appeler à l’émoi que vous cause un joli vers d’une langue