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le projet et, prenant le jour de la visite pour distribuer son libelle, il avait montré sa malice.

Et puis, viles togas, comment l’interpréter ? Les « courtisans, » disait Ménage. Alors, messieurs des Enquêtes se plaignaient que Ménage les traitât comme des gens qui ne savent pas le latin. Pour mieux prouver qu’ils le savaient, c’était à qui d’entre eux dénicherait, dans les auteurs, des toges bien évidemment parlementaires : on en trouvait dans Lucain. Ménage se débattait. Il avait tort : ce ne furent pas ses apologies de grammairien qui le tirèrent d’ennui, mais le souci qu’eurent les Enquêtes de ne pas se brouiller avec la Grand’Chambre. En pareille aventure, il ne faut que gagner du temps : les colères se fatiguent, les rancunes sont frivoles.

Enfin, si Ménage éluda les châtiments, il n’évita point les railleries. Les avocats se joignirent aux magistrats : et les avocats sont « une république très libre. » On se moqua de Ménage qui suppose que Mazarin s’aperçoit de son absence ; de Ménage qui voudrait faire croire aux grammairiens de province, aux philologues de Hollande et aux académiciens de la Crusca, gens lointains, qu’il est un personnage à Paris ; de Ménage qui complimente le Cardinal — d’avoir donné la paix au royaume ? — non : d’avoir donné une pension de quelques louis à Mlle de Scudéry, « damoiselle reine du poète, son Uranie, sa Calliope, qui, tout immortelle qu’elle soit digne d’être par ses beaux romans, fût morte de faim sans cela. » Ménage fut décrié. Ses amis le défendaient en avouant qu’il n’était pas né sage. Le 26 août, Guy Patin écrit à Falconet : « Il y a du bruit contre lui. J’ai regret qu’il ait fait un pas de clerc, faute de jugement, car il est honnête homme et de mérite. »

Ménage aurait voulu laisser Mme de La Fayette dans l’ignorance de son pas de clerc. Elle n’aimait point qu’il manquât de sagesse. Il se garda de lui raconter son histoire et, plutôt que de rien raconter, il fut sans la venir voir, une semaine tout entière, pendant laquelle, étant malade de la fièvre, elle ne sortit pas et ne recueillit que par hasard les bribes de ce que les nouvellistes colportaient. Le dimanche au soir 15 août, elle écrit à Ménage : « En vérité, vous êtes un étrange homme, de ne me point mander de vos nouvelles et de ne pas venir céans un pauvre moment. Il est si ridicule qu’étant de vos amies au point que je suis je sois toujours la dernière à savoir les choses qui vous