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ce n’est pas étourderie, insolence ou bravade, mais, avec une fierté audacieuse, la volonté de marquer d’un trait fort le revirement. Cette démarche du Parlement converti n’est pas dépourvue de grandeur : un incident faillit la ridiculiser.

Ménage venait d’écrire une élégie latine Ad Julium Mazarinum, où il suppose que Mazarin s’étonne de ne pas l’avoir vu parmi les personnages qui lui apportent leur tribut de compliments : mais, quoi ! il n’est pas homme à suivre les flagorneurs, et veuille Mazarin ne pas l’en blâmer :


Et puto tam viles despicis ipse togas...
Qui modo te rerum dominum venerantur, adorant,
Hi sunt sæpe tuum qui petiere caput.


Il était difficile qu’on ne vît pas là une allusion, très désobligeante, à ces parlementaires qui jadis mettaient à prix la tète du Cardinal et qui célèbrent le Cardinal comme le maitre des événements. Ménage avait fait imprimer son élégie. La veille et le jour même que les députés du Parlement complimentaient Son Eminence, il en distribuait largement les exemplaires en tous lieux de connaissance, voire chez M le chancelier. Ce fut un scandale.

Le vendredi, messieurs des Enquêtes montrèrent leur impatience : la seconde Chambre surtout prit feu et flamme, déclara que Ménage insultait au Parlement, qu’on devait s’emparer de sa personne et le mener à la Conciergerie. Les esprits se montaient, lorsqu’arriva M. Bignon, l’un des avocats généraux : les conseillers le chargèrent de porter leur plainte à la Tournelle. Ménage risquait un sort funeste. Par un bonheur, M. Bignon se trouvait de ses amis. Il négligea d’aller à la Tournelle tout de go, disant que l’heure était passée. Il n’alla point à la Tournelle le lendemain 14 août, ce samedi étant veille de Notre-Dame. Le lendemain dimanche étant fête de Notre-Dame et le lundi et le mardi jours fériés et chômés, il en résulta un délai que mirent à profit Ménage et ses amis pour conjurer ce grand orage. Ménage fut sauvé par les avocats généraux, qui prirent sur eux de porter la plainte, non pas à la Tournelle, mais à la Grand’Chambre, où M. Talon dit qu’il avait paru quelques vers latins qui pouvaient être interprétés au désavantage du Parlement, que l’auteur protestait de ses intentions innocentes, « qu’au reste c’était poésie et que la muse s’égare quelquefois. »