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sont si inutiles, il faut pourtant que je me donne patience que le temps vous persuade mieux » [1]. Le temps ne le persuadait pas du tout : le temps ne fait rien à l’affaire.

Eh ! Mme de La Fayette n’avait pas toujours en tête M. Ménage et uniment M. Ménage. Elle avait d’autres amis. Je ne crois pas qu’elle eût, à cette époque, d’autres amis, intimes et quasi continuels autant que lui. Mais il y a pourtant une vie du monde, qu’il faut qu’on mène, si l’on n’a point résolu de haïr le genre humain. Ménage aurait voulu qu’elle eût pour amis du second plan les siens, pour société la sienne. Et parfois il y réussit. Le plus souvent, elle lui échappait.

Cependant Ménage avait de l’occupation pour lui-même, et de l’ennui.

La paix conclue avec l’Espagne et le mariage du Roi, comblant de joie le royaume, avaient fait de Mazarin le grand homme de la France. Ses ennemis d’autrefois montrèrent un empressement très vif. Et il est beau de reconnaître son erreur ; il est vain d’agir, en ce monde changeant, comme si les hasards ne devaient pas modifier les sentiments et les opinions, même loyales. Mais enfin les nouveaux amis du Cardinal ménagèrent peu les transitions de la haine déclarée a la tendresse exubérante. Le Parlement ne manqua point de faste en son repentir. Ce même Parlement qui, le 29 décembre 1651, promettait 150 000 livres à qui lui amènerait le Mazarin « mort ou vif, » pria le Roi de permettre qu’une députation de ses Chambres fût envoyée au Cardinal et le complimentât. La cérémonie eut lieu à Vincennes, le 10 août 1660, un mardi. Le Cardinal était malade et souffrait de cette goutte remontée qui le mit, sept mois plus tard, au tombeau. Il était au lit, tourmenté d’atroces douleurs, mais égayé de politique réussie, quand il reçut la députation d’un président de la grand’chambre et de neuf conseillers. Le président s’appelait Mathieu MoIé ; parmi les conseillers, il y avait M. Broussel. Or, ces deux noms éveillaient le souvenir du passé. Au mois d’août 1660, si messieurs du Parlement choisissent, pour saluer Mazarin, les fils des deux parlementaires qui ont le mieux représenté en 1648 la fureur antimazariniste,

  1. Cette lettre et les autres sont empruntées à une correspondance inédite de Mme de La Fayette et de Ménage, provenant de l’ancienne collection Tarbé : M. le comte d’Haussonville la signalée ici-même ; Mlle Feuillet de Couches me l’a très obligeamment communiquée.