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soir, je suis engagée à ramener Mme de Sévigne chez elle. J’aurais pu vous voir, sans Mme de Chauvry. Je viens de renvoyer chez elle : si elle avait affaire ailleurs, je vous verrais. A tout hasard, venez céans après six heures. » Pauvre Ménage ! A bien regarder les choses, il est traité comme un amant. On le fait aller et venir ; on l’appelle, on ne l’appelle plus ; on le prie d’attendre, ou de courir à tout hasard. Il est choyé : mais à la condition qu’il ait toute patience, et complaisance, et résignation parfaite. Il est un privilégié dont on abuse. Et son temps ne compte pas. C’est un amant ! Peu importe que le mot soit pris dans sa vieille et honnête acception. S’il revendique, ayant tous les inconvénients d’un amant, non les avantages de son état, du moins le droit de substituer aux paroles d’amitié les mots d’amour, dans ses billets, il ne faudra pas s’en étonner.

Il est aux petits soins perpétuels pour sa cruelle. Il lui fait ses courses ; il sollicite pour elle, pour ses amis, pour les amis de ses amis, pour un parent de son mari. N’est-ce pas son plaisir ? Tout, en somme, n’est que son plaisir. Cependant, il voudrait qu’on lui sût gré de prendre son plaisir dans un dévouement de tous les jours. Il fait à la belle de menus présents, qu’il est sans doute un peu maladroit à choisir. Elle le remercie avec une rapidité qui n’est point émue : « Je partage vos présents avec Mme du Plessis et avec vous-même. Je vous renvoie les gants d’homme, qui ne me sont propres ; j’en garde une paire, les petites boites et la moitié des essences... » Voilà tout ! Mais aussi pourquoi lui a-t-il envoyé des gants d’homme ? Elle en a gardé une paire : pour son mari, probablement !

Elle lui écrivait : « J’ai recours à vous pour toutes choses. J’ai besoin d’une devise jolie, pour une femme qui aime passionnément son mari et qui ne vit que pour lui. Il s’en trouve peu de cette espèce. Je ne prétends pas une devise neuve ; je me servirai volontiers d’une qui aura déjà servi. J’avais pensé au lierre attaché au mur : Te stante virebo. Qu’en dites-vous ? Donnez-m’en quelque autre, si vous en savez. J’en suis pressée... » Certainement, il a trouvé une devise, comme il trouvait au surplus tout ce que demandait son amie. Mais, s’il essuyait après cela quelque rebuffade, il se lamentait ; il prétendait qu’elle ne l’aimait pas. Alors, elle le grondait : « Je ne saurais m’accoutumer à l’injustice que vous me faites d’être si mal persuadé de l’amitié que j’ai pour vous. Puisque mes paroles