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cœurs de la cour, ajoute : « Ce pauvre Segrais aura tout loisir de brûler à Saint-Fargeau. Il ne lui manquera que du feu ; mais je ne crois pas qu’il en puisse trouver là pour allumer une allumette... » Les semaines suivantes, on crut à Paris que le nouvel exil de Mademoiselle durerait peu et les amis de Segrais l’attendirent prochainement. Mais, le 10 décembre, Huet détrompe Ménage : « Je ne sais pas pourquoi vous me dites que vous attendez M. de Segrais au premier jour, car il ne me paraît pas par ses lettres qu’il fasse état de quitter si tôt Saint-Fargeau... » Et Mmr de La Fayette, le 18 décembre : « Notre ami Segrais me fait grand’pitié... »


Voilà les deux nouveaux amis de Mme de La Fayette. Mais ils ne font que des séjours à Paris. Ménage y est à demeure ; et Ménage reste le favori, l’ami intime.

Pour assurer leurs rencontres ou bien, faute de s’être vus, pour échanger des nouvelles, Ménage et Mme de La Fayette écrivent de ces courts billets où l’on se dît deux mots en courant, ni bonjour, ni bonsoir, et succinctement tout le principal. Ces billets, un feuillet qu’on plie avec soin, qu’on ferme d’un lacs de soie et d’une cire cachetée et qu’on fait porter par un laquais chargé d’attendre la réponse, c’était la mode et l’invention toute récente de Mmes de Maure et de Sablé. Ces deux dames étaient voisines ; mais elles avaient si grand’peur de la mort et de sa fourrière la maladie qu’elles ne risquaient pas volontiers le péril d’un vent trop sec ou trop humide ou seulement le passage d’une chambre chaude à une chambre plus chaude encore ou moins chaude et par des corridors aventureux. Telle fut longtemps leur sagesse, menée à cet excès que l’on appelle absurdité. Mais, par le moyen de ces billets, elles ne sacrifiaient pas leur amitié à leur prudence. Leurs contemporains adoptèrent l’usage des billets et leur en firent honneur. Il est amusant de remarquer le plaisir avec lequel la société de ce grand siècle goûtait les innovations et, en somme, toutes choses capables d’améliorer la vie commode, élégante et jolie. Ce grand siècle avait le sentiment de sortir à peine de la barbarie, de préluder à la civilisation, d’inaugurer des temps nouveaux ; cela serait à noter plus généralement dans les mœurs, dans la philosophie et dans la littérature.

Ménage et Mme de La Fayette échangèrent ainsi une quantité