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a grande apparence qu’il n’y sera pas de si tôt, M. de Gesvres capitaine des gardes du corps, ayant été avant-hier au-devant de Mademoiselle jusqu’à Pontoise… » Elle venait des eaux de Forges et croyait s’installer à Paris… « pour lui faire commandement de la part du Roi de demeurer là ou de s’en retourner à Eu. On ne sait pas bien encore le sujet qu’on a, à la cour, de se plaindre d’elle et de la traiter ainsi. Quelques-uns croient que c’est à cause de la lettre au chevalier de Charni ; les autres, à cause du mariage de ses deux sœurs, qu’elle veut traverser… » Le chevalier de Charni était fils de Gaston et d’une demoiselle de Tours : Gaston n’avait pas voulu reconnaître Charni pour son fils ; Mademoiselle, après la mort de Gaston, mit son entrain désinvolte et son goût de la taquinerie à le reconnaître pour son frère. Quant au mariage de ses demi-sœurs, filles de Gaston et de la seconde Madame, elle en est fort irritée. Elle tolère mal que s’établissent avant elle ces cadettes qu’elle n’aime pas. Mme de La Fayette écrivait à Huet, le 15 octobre : « J’ai aussi écrit à M. de Segrais, depuis que je suis revenue ; mais je n’ai point de ses nouvelles, et cela me fait croire que Mademoiselle revient, comme on le dit ici. Elle trouvera le mariage de Mlle de Valois conclu pour la Savoie et celui de Mlle d’Alençon fort avancé pour le Danemark… » Elle trouvera des projets : elle aura des projets à déranger. Mademoiselle prétend que l’ordre qu’elle reçut d’aller ailleurs qu’à Paris avait pour cause son refus d’épouser le roi de Portugal. Mais, qu’il s’agisse du Portugais, du Danois ou du Savoyard, ou de ce bâtard pour qui elle éprouve les sentiments tout à coup les plus fraternels, Segrais subira les conséquences. Cette année 1662 est l’année qu’il fut élu à l’Académie. Sans doute lui eût-il plu de séjourner un peu à Paris et d’y établir sa renommée de poète : les remuements de Mademoiselle le remuent. Quant à quitter Mademoiselle, impossible, sous peine de tourner à l’académicien besogneux, qui est une espèce désolante.

Mademoiselle partit pour Saint-Fargeau, son château d’Eu n’étant pas encore prêt à la recevoir. Mais, si le château d’Eu n’était pas encore aménagé, Saint-Fargeau ne l’était plus. Elle avait cru son exil de Bourgogne fini ; elle avait quitté Saint-Fargeau sans crainte de retour. Elle arrivera dans une maison toute défaite… Mme de La Fayette, écrivant à Huet et badinant sur les cœurs de campagne qui brûlent à plus grand feu que les