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ne consolaient pas Gélonide d’être exilée loin de Paris ; et, une fois que Mademoiselle, ayant défense d’entrer dans Paris, était de passage à Saint-Cloud, Mmes de Fiesque et de Frontenac demeurèrent toute la nuit sous le clair de lune à regarder d’une terrasse haute, avec envie et désespoir, les lumières et le fantôme attrayant de la ville. Segrais, que Paris ici manque, on s’en doute. Les poètes sont à Paris ; et la gloire est à Paris. La disgrâce de Mademoiselle le contraint à n’être que le poète d’une petite cour provinciale, vagabonde souvent et vue d’un assez mauvais œil dans le royaume. Il est soumis au caprice et au goût d’une société restreinte, qui s’efforce vainement de vivre à l’instar de Paris. Il n’est pas heureux. Comment le traite Mademoiselle ? Je crois qu’elle ne le traite pas mal : car elle est bonne personne et sans méchanceté. Mais elle est une héroïne, très entichée de soi et de sa qualité. Elle a une façon de parler de lui, qui montre qu’un bel esprit n’est pas chez elle un grand personnage et qu’elle ne songe pas à combler d’honneur le quatrième état. Elle l’appelle « une manière de savant, de bel esprit, qui était à moi ; » une autre fois : « un certain homme de mérite qui est à moi il y a longtemps. » On voit le ton de l’obligeance.

Les amis de Segrais le plaignent. Le pauvre garçon n’est jamais sûr de ses lendemains, parce qu’un jour Mademoiselle est à Paris, rentrée en grâce ; puis elle impatiente le Roi, refuse des mariages, organise des tracasseries et est soudain priée de retourner à Saint-Fargeau, à Forges ou au château d’Eu. Les amis de Segrais ont pour lui autant d’amitié que de compassion. Le plus souvent, ils ne savent pas où il est, ne reçoivent plus ses lettres.

C’est qu’il accompagne Mademoiselle dans ses déplacements éperdus, qui lui font une vie absurde. « M. de Segrais ne viendra pas si tôt que je l’avais cru, » écrit Huet à Ménage, le 11 avril 1661, peu de mois après la mort de Monsieur : Mademoiselle se trémousse ; elle a besoin du secrétaire de ses commandements et ne lui accorde pas les vacances qu’il espérait... « Il y a un siècle que je n’ai vu ni ouï nouvelles de notre cher M. de Segrais, » écrit Ménage à Huet, le 9 octobre 1662. Et, le 18 octobre ; « Si l’ami Segrais est à Paris comme vous me le mandez, j’ai grand sujet de me plaindre de lui de ce qu’il ne me l’a point fait savoir ; mais je ne crois pas qu’il y soit et il y