Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/365

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réjouissait de les sentir bien accordées pour son plaisir. Et il invitait son ami Segrais à l’imiter ; Segrais, qui délaissait l’églogue, où se réunissent heureusement la poésie et la campagne ; Segrais, que la vie des cités ou des palais écartait, hélas ! de la double vérité de la nature naïve et d’une littérature où la nature a sa fleur épanouie.

Segrais, l’ami de Ménage et de Huet, et qui devint également l’ami de Mme de La Fayette, le voici.

Mélancolique figure : celle d’un homme qui n’a pas mal réussi et qui pourtant n’a point donné son œuvre. Un vers de Boileau a transmis à la postérité le nom de Segrais : seul survit le nom. Voltaire, en un endroit, l’appelle « un très bel esprit et un véritable homme de lettres ; » mais ailleurs il l’appelle « un poète très faible » et se moque de son Enéide, traduite en vers de Chapelain. Diderot résume gaiement les deux opinions de Voltaire : « la nullité de Segrais, » dit-il. Sainte-Beuve, qui a grand soin de n’être pas injuste envers les écrivains d’autrefois, cite ces quatre vers de Segrais :


O les discours charmants ! ô les divines choses
Qu’un jour disait Amire en la saison des roses !
Doux zéphirs, qui régniez alors dans ces beaux lieux,
N’en portâtes-vous rien aux oreilles des dieux ?


Or, Amire, c’était Mlle de Vertus, sœur de Mme de Montbazon. Pour Mlle de Vertus, Segrais imitait Virgile aimablement. Sainte-Beuve dit que ces quatre vers « sont du très petit nombre de ceux de Segrais qui méritent d’être retenus. » Il en a cependant retenu quatre encore, de Climène, et qui sont à son gré « d’une grande douceur et légèreté. » En cherchant bien, on trouverait, dans les Diverses poésies de Jean Regnault de Segrais, gentilhomme normand, de jolis vers où la nature est naturelle sous de trop élégantes parures ; et quelques chansons où il y a de l’allégresse ; et un poème d’amour assez beau, les Stances sur un dégagement :


Comme un feu qui s’éteint, faute de nourriture.
Faute d’espoir enfin, s’est éteint mon amour...
Du juste et vain regret de vous avoir aimée
S’il s’allume en mon cœur quelque secret courroux,
Du feu de ce courroux la plus noire fumée
Ne noircit point un nom qui m’est encor si doux...