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notre vie à la recommencer ! D’ailleurs, c’est une occupation misérable et qui ne sied qu’à de petits esprits ! S’il a tort de mépriser personne, il a raison de rabattre le caquet aux sarcleurs, qui sont les gens dont l’insolence est le plus dérisoire. Il a des gens pour arracher, dans son jardin, la mauvaise herbe, « tandis que je recueille et mange les fruits : » il a raison d’ajouter la gourmandise à la besogne de littérature. Il veut que d’autres que lui fassent « le métier bas et presque dégradant d’assembleur de notes minutieuses et de pêcheur de misérables variantes. » Il a tort de mépriser les variantes. En fait, il ne les méprisait pas. Mais il réagissait contre l’érudition bête et inféconde. Il savait réunir la philologie et la philosophie. En 1685, quand Ménage en est à préparer les tables de son Diogène Laërce, il lui écrit : « Je vous plains d’avoir tant de tables à faire. N’y a-t-il point d’Allemand à Paris qui voulût bien prendre cette peine pour vous ? » Dès le XVIIe siècle, voilà opposées deux sortes d’érudition, l’une à la française, l’autre à l’allemande : celle-ci toute mécanique, et celle-là qui a de plus hautes visées. L’érudition de M. Huet n’est pas un labeur d’ouvrier, mais une œuvre de pensée et de vie.

C’est ainsi qu’il ne fut pas, avec tant de science, un homme accablé ; avec tant de persévérance, un homme enfermé. Signe charmant de sa vivacité intelligente et de l’entrain qu’animait en lui la science bien entendue : cet homme voué au service des livres préférait aux beautés de l’art les beautés de la nature. Il préférait une source qui sort à gros bouillons d’un rocher, roulant sur le sable ses eaux claires et fraîches, à ces fontaines et jets d’une eau, dit-il, puante et bourbeuse, tirée à grands frais de quelque grenouillère. Il n’aimait pas les « parterres factices » de M. Le Nôtre, « n’ayant pour toute décoration que quelques filets de buis qui ne distinguent jamais les saisons par le changement de leurs couleurs. » Jolie remarque, où l’on voit de la sensibilité aux péripéties de la nature ! Un autre ami des livres et de la méditation, Joubert, a semblablement dénigré l’immobile verdure des buis et des sapins : « Je n’aime pas ces arbres toujours verts... » Chaque année, au retour du printemps, M. Huet se donnait un congé. Il partait, avec un poète dont il était ravi, Théocrite : « Je m’étends à l’ombre d’un arbre ; et là, au chant du rossignol, au murmure du ruisseau, je le relis tout entier. » Il fêtait la littérature et la nature ; il se