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loisir d’apprendre ce que je ne sais pas. » Il a écrit ce magnifique éloge du savant : « Pour faire un homme savant, les talents de la nature sont premièrement nécessaires, la solidité du bon sens, la vivacité de l’esprit et la fidélité de la mémoire, une santé ferme dans un corps vigoureux, une humeur constante, égale, uniforme, une persévérance à l’épreuve des années, un désir insatiable d’apprendre et un attachement invincible à l’étude... Il faut de plus un grand courage pour résister aux accidents de la vie, aux nécessités publiques, aux guerres, aux maux de l’État, aux maladies, aux procès, aux pertes, aux persécutions des envieux, aux incommodités des mauvais voisins, à quoi notre humeur pacifique et notre vie retirée nous exposent plus que les autres. Quand un homme de cette trempe se sera consacré aux lettres, qu’il ne cherche sa récompense que dans les lettres mêmes et dans sa propre vertu ; qu’il chante pour lui et pour les muses et que, du haut de cette sainte montagne où la vraie érudition a placé sa demeure, il regarde le monde avec compassion. » Et il s’est à bon droit rendu ce témoignage : « Je cède à beaucoup de gens studieux la gloire du succès de leurs études ; mais, pour l’amour des lettres, je ne le cède à personne du monde. »

L’érudition, telle qu’il l’entendit et la pratiqua, ce n’est pas la stérile besogne à laquelle se consacrent, pour de bien différentes raisons, les sots fieffés ou les idéologues désespérés. Il a toujours méprisé ce qu’il appelle la critique, et l’on dirait aujourd’hui la critique verbale : « Ce travail, quoique nécessaire à l’usage des lettres anciennes, m’a toujours paru bas et peu digne d’un esprit noble et élevé... J’appelle ces critiques les sarcleurs du champ de la littérature. Que si je me trouve quelquefois obligé d’être sarcleur de mon propre fonds, je veux que la culture que j’y donne m’en fasse manger les fruits. » C’est très bien dit ; et il a raison de vouloir que la philologie ne soit pas en pure perte. Il ajoute : « La bassesse de cet emploi n’est pas seulement ce qui m’en a dégoûté : la hardiesse effrénée des nouveaux critiques a été principalement ce qui m’en a rebuté. » Que dirait-il, à présent qu’est déchaînée la pire imprudence des philologues ?... Il consent que la critique verbale a son temps d’utilité, pour nettoyer les textes anciens de leurs souillures. Il va peut-être un peu vite à croire que la besogne est faite.

Si la besogne est faite, nous n’allons pas, dit-il, passer