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Son ardeur au travail fut, comme il l’a dit, une passion, et qui le saisit dès l’enfance : « A peine avais-je quitté la mamelle, je portais envie à ceux que je voyais lire ! » Il n’avait guère dépassé douze ans qu’il eut achevé ses humanités. Un fâcheux souvenir de son enfance est celui de cousins près desquels il fut élevé, car il demeura de bonne heure sans père ni mère : et ces cousins étaient de bruyants gamins dont les jeux l’importunaient. A dix-huit ans, il traduisait Daphnis et Chloé. Or, il songeait alors à entrer dans les ordres : il ne s’aperçut pas que Longus avait l’ingénuité polissonne, tant lui imposait la langue grecque et l’occupait le soin de l’antiquité. Quelques années plus tard, aux environs de 1655, une courte velléité de dissipation le frôla. Il écrivit un roman, Diane de Castro ou le faux Inca. C’est une histoire un peu absurde et comme éperdue de naïveté. Don Alonzo s’étant épris de la belle Diane avant de l’avoir vue, « C’est une erreur, dit la belle, de croire qu’il faut voir avant d’aimer... » A vingt-cinq ans, préservé par les sentiments religieux et par l’étude, Pierre-Daniel ne connaît rien à l’amour et l’imagine d’une façon chimérique, et chaste, et ineffable. Ensuite, sous de vives impulsions, il conclura tout différemment, avec un cynisme de savant qui ne permet pas que les voluptés le détournent de l’étude. Il appelle désormais l’amour une maladie du corps et qui peut se guérir par la médecine. Il recommande les grandes suées et, le cas échéant, les saignées qui, emportant avec l’humeur les esprits enflammés, purgent le sang. Mais, à l’âge où nous le rencontrons, il est déniaisé ; il n’est pas encore cynique. Il ne méprise pas l’amour : il le traite avec assez de gaillardise.

Il demeure à Caen, sa ville natale. Ses parents lui ont laissé une aisance qui lui permet de ne faire aucun métier : de sorte qu’il travaille. Il a trouvé en Suède un manuscrit d’Origène ; et il prépare ses Prolégomènes. En 1662, on lui offrit une charge de conseiller au Parlement de Normandie : mais il la refusa, voulant travailler. Il a écrit : « Il n’y a point de science qui ne soit un digne objet de l’esprit humain... Pour moi, quand l’ordre de mes études m’engage à m’écarter par occasion dans quelque science qui n’a pas fait ma principale occupation, je porte envie à ceux qui la cultivent, tant j’y aperçois de richesses et de beautés. » Il a écrit : « Si quelque chose me faisait souhaiter une plus longue vie, ce serait pour avoir plus de