Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Alsace, c’était tout le programme de l’Alsace française dont Bucher publia le premier numéro le 1er janvier 4921.

Le 15 février, il mourait emporté par une maladie consécutive à une blessure reçue pendant la guerre en service commandé.


L’effort de Bucher ne sera pas perdu. Son Alsace française sera continuée par un jeune Alsacien dont il avait fait son disciple, puis son gendre, car il avait reconnu en lui deux de ses plus éminentes qualités : une intelligence lucide et une volonté opiniâtre. Et chacune de ses autres œuvres vivra, fidèle à l’esprit de son fondateur. Mais qui maintenant les rassemblera toutes dans une collaboration étroite ? Le lien du faisceau est à jamais rompu. On ne remplacera pas cet homme qui fut, selon le mot de M. Millerand, l’incarnation vivante de l’Alsace pour les Français et de la France pour les Alsaciens.

Certains l’envieront parce qu’une triomphante victoire a couronné son labeur, qu’il a vu les trois couleurs flotter à la flèche de sa cathédrale, que son corps repose en terre française, à Strasbourg. Mais des passions comme celle qui l’animait, ne sont jamais apaisées. Cent projets inachevés ou ébauchés sont ensevelis avec lui.

Il réunissait les qualités les plus contraires : il était prévoyant et résolu, clairvoyant et passionné, discret et enthousiaste, il avait le don de commander et celui de suggérer, toutes les vertus d’un chef et la plus véritable modestie. Tant de contrastes déconcertaient souvent à la première rencontre, et, comme le regard profond de ses yeux sombres ajoutait encore à la singularité de sa personne, faute de pouvoir démêler tant de complexités, on le déclarait « mystérieux, » on l’appelait « Cagliostro. » Il en était, selon son humeur, amusé ou agacé ; mais qui a vécu dans son intimité, sait qu’il n’y eut jamais, en lui, ni aucun mystère, ni aucune affectation de mystère. Nul ne fut plus simple et plus sincère. Une passion unique a possédé son être, celle de la France ; elle mettait en jeu tous les ressorts de cette nature puissante et diverse. Comme tous ceux qu’obsède une idée-maîtresse, il s’oubliait lui-même. Son désintéressement était fabuleux. Sa vie fut droite comme une épée.

Il a été parfois méconnu et même calomnié. Il fut trop grand sur un trop petit théâtre. L’Alsace d’avant la guerre,