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où il travaillerait, comme toujours, au bien de l’Alsace.

Les destinées de l’Alsace étant liées à celles de la France, leurs intérêts sont désormais confondus ; il ne saurait y avoir une politique alsacienne et une politique française : une telle dualité serait sacrilège. Les cœurs battent maintenant à l’unisson, mais il faut renouer le commerce des intelligences. Lorsque deux amis furent longtemps séparés, ils ont besoin de se regarder, de s’interroger pour retrouver les raisons de leur sympathie ancienne. C’était à cette mutuelle étude que Bucher entendait convier l’Alsace et la France.

Durant cinquante ans l’Alsace s’est fait de la France une image qui diffère quelque peu de la réalité : illusions de l’absence, mirages du souvenir, désir de créer une antithèse au germanisme. D’autre part, pour des causes à peu près semblables, le visage de l’Alsace s’est déformé dans l’imagination française, et surtout on a oublié, en France, que l’Alsace vient de passer un demi-siècle sous un régime allemand qui n’est pas sans avoir modifié les manières de penser et de vivre. Tâchons donc de nous accepter les uns les autres, tels que nous sommes ; enrichissons-nous des enseignements que nous pouvons trouver, les Français en Alsace, les Alsaciens en France ; efforçons-nous de nous bien connaitre. Que les Français écoutent les voix venues d’Alsace, quand il s’agit des grands problèmes de l’heure présente : exécution du traité de Versailles, relations avec l’Allemagne, question rhénane. Personne, et pour cause, ne connaît mieux que l’Alsacien le tempérament, le caractère, les méthodes de l’Allemagne. Strasbourg doit être désormais notre « poste d’écoute. » En outre, il existe en Alsace des institutions et des coutumes régionales dont la France peut faire son profit. Que l’Alsace, de son côté, puisqu’elle est résolue à entrer dans le cadre de la vie française (l’affluence de ses enfants dans les collèges et de ses étudiants à l’Université en est la preuve irréfutable), tourne ses regards au delà des Vosges et connaisse toutes les ressources économiques, industrielles et intellectuelles que lui offre la France d’aujourd’hui. Mieux renseignée, elle enverra ses fils dans sa patrie retrouvée, et ceux-ci reviendront au foyer, convaincus que si la France n’est point tout à fait celle qu’ils ont cru accueillir en novembre 1918, elle n’est pas non plus la France débile, dévergondée et dégénérée de la légende pangermaniste. Enseigner l’Alsace à la France et la France à