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posait cette brusque reprise par la France de deux provinces ayant vécu pendant près d’un demi-siècle sous le régime allemand.

Le délire se prolongea tout un mois. Quand MM. Poincaré et Clemenceau vinrent à Strasbourg et y reçurent l’hommage de l’Alsace (Bucher avait été l’ordonnateur de cette fête grandiose), ce fut comme un renouveau de l’enthousiasme qui avait salué la venue des armées de la République. Mais, dès la fin de décembre, il fut manifeste que le moment était venu de (gouverner. » Cette nécessité, Bucher l’avait sentie, dès le premier jour. Sans doute, à chaque difficulté nouvelle, on le consultait, mais on l’interrogeait beaucoup sur les personnes, et là-dessus il lui était impossible de donner son opinion sans risquer de compromettre son autorité et son crédit auprès de ses compatriotes ; quant aux questions d’ordre général, si par hasard on adoptait ses avis, les ridicules lenteurs de la machine administrative faisaient tout avorter : ce fut alors un terrible gâchis. Cependant personne à Strasbourg ne doutait de sa toute-puissance, on le traitait volontiers d’ « éminence grise » , on lui imputait des bévues, des maladresses auxquelles il assistait, désarmé, impuissant.

Un jour, il crut de son devoir d’avertir M. Clemenceau : pour éviter une catastrophe, il fallait changer les hommes, le régime et les méthodes. M. Clemenceau l’écouta. Ce fut M. Millerand qui, muni des pleins pouvoirs du gouvernement, vint à Strasbourg pour mettre de l’ordre dans les affaires de l’Alsace. On sait qu’il y a réussi.

M. Millerand témoigna à Bucher la confiance la plus affectueuse. Dans l’œuvre qu’il a accomplie à Strasbourg, il n’a jamais caché quelle part revient à ce « collaborateur incomparable. » De son côté, Bucher voua une amitié sans réserve au chef qui le mit à même de poursuivre son action française en Alsace.

Il ne s’est pas en effet contenté d’être le conseiller discret et avisé de la politique de la France à Strasbourg, il a voulu utiliser toutes les expériences de sa vie, créer des œuvres nouvelles qui fussent la suite de celles qu’il avait entreprises pendant et avant la guerre. Il les avait d’ailleurs, toutes, méditées et projetées à Rechésy, dans les brefs loisirs que lui laissait son écrasante besogne.