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garder leurs fusils. Ajoutez à ces fables le préjugé populaire qui fait de la langue le signe même de la nationalité : tout Alsacien qui ne savait pas le français devenait un « boche ; » cependant à qui la faute si pendant quarante-quatre ans on n’avait enseigné que l’allemand dans les écoles d’Alsace ? Et Bucher, avec une douloureuse obstination, opposait à cette légende l’attitude héroïque de l’Alsace restée sous le joug allemand ; l’Allemagne obligée d’envoyer sur le front russe les Alsaciens-Lorrains de son armée pour leur épargner la tentation de passer à la France ; les conseils de guerre extraordinaires institués dans toutes les grandes villes afin de juger les per- sonnes coupables de « sentiments hostiles à l’Allemagne ; » les prisons encombrées de braves gens appartenant à toutes les classes de la société, ouvriers, bourgeois, prêtres, fonctionnaires, qui payaient de leur liberté la joie d’avoir bafoué l’oppresseur et souhaité sa défaite.

L’Alsace, jamais aucun de ses enfants ne l’a aimée et défendue, comme le fit Pierre Bucher durant les quatre années de la guerre. Et il ne se contentait point de parler, d’écrire, d’animer tous ses collaborateurs du même zèle et de la même indignation. Il se préoccupait anxieusement du sort de tous ceux de ses compatriotes qui, las de servir dans l’armée allemande, souhaitaient de redevenir Français, et risquaient la mort pour franchir les fils de fer électrifiés tendus le long de la frontière suisse.

On ne dira jamais assez la part que les Alsaciens ont eue dans la victoire de la France. Ce service des renseignements de Belfort dont dépendait celui de Rechésy, a été le plus utile des auxiliaires du deuxième bureau du Grand-Quartier. Or l’officier qui, grâce à son intelligence, son caractère, sa puissance de travail, était parvenu à créer cet inestimable instrument d’information militaire, était Alsacien d’origine. Il avait su réunir une équipe d’Alsaciens qui dans des postes secrets et périlleux, ne cessèrent de surveiller l’ennemi. C’est à eux que le haut commandement dut de connaître la date et l’heure d’un grand nombre des offensives de l’armée allemande, notamment de l’attaque du. 15 juillet 1918.

Ces magnifiques services rendus par des Alsaciens à la France, Bucher les connaissait et les célébrait en toute occasion. Que de fois, depuis la paix, il s’est plu à les rappeler !