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il avait naguère converti tant de Français à la cause alsacienne. La jolie maison du XVIIIe siècle où étaient installés les bureaux du service a vu passer bien des visiteurs : des journalistes français ou étrangers, des écrivains en promenade sur le front, des administrateurs de l’Alsace occupée, des officiers dont les troupes étaient cantonnées dans la région. A ces hôtes de passage Bucher se gardait bien de prêcher l’optimisme, mais tous ses propos respiraient une inébranlable confiance dans la victoire. Par la sérénité de ses pronostics il stupéfiait et finalement réconfortait ceux qui arrivaient de l’intérieur angoissés ou sceptiques. Il réfutait brutalement les opinions trop souvent répandues sur le prochain épuisement de l’Allemagne ; mais, comme, dans la conversation, il glissait un tranquille : « Quand nous serons à Strasbourg... » les plus pusillanimes reprenaient courage.

Le thème sur lequel il revenait avec le plus d’insistance, c’était l’Alsace. Depuis le début de la guerre, il cherchait à défendre ses malheureux compatriotes contre le préjugé et la calomnie. On a vu ses premières plaintes dans la lettre que j’ai citée. Jamais il ne cessa de s’élever contre une funeste légende qui, née au début de la guerre, avait trouvé trop de crédit en France.

On racontait qu’au moment où nos soldats avaient, en août 1914, franchi la frontière, des Français avaient été surpris de la froideur et de la réserve des Alsaciens et qu’au moment où nous avions dû évacuer Mulhouse, des civils avaient tiré sur les troupes en retraite. Accusation absurde. C’était oublier qu’il y avait en Alsace-Lorraine 400 000 immigrés mêlés à la population indigène et prêts à toutes les délations, à tous les assassinats. Sachant combien la fortune des armes est changeante « l’événement l’a bien montré), certains Alsaciens devaient réprimer leurs véritables sentiments dans la crainte d’être dénoncés par les ennemis qui les entouraient et les surveillaient : était-ce à nous de leur reprocher leur prudence, quand nous savions de quel prix tant d’autres avaient payé leur joie téméraire ? Quant aux civils qui, par le soupirail d’une cave ou à l’abri d’une haie, avaient fusillé nos soldats, leur nationalité n’était pas douteuse : avant de quitter les lieux, les autorités allemandes avaient prescrit aux fonctionnaires, notamment aux forestiers, de rester sur place, de brûler leurs uniformes et de