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De jeunes Alsaciennes se donnèrent, — et avec quelle abnégation ! — à l’œuvre des Cours populaires. Lors de la grande bataille pour l’enseignement du français dans les écoles, bataille qui passionna l’Alsace trois ans avant la guerre et où Hansi et M. l’abbé Wetterlé eurent l’impérissable honneur d’être condamnés par des tribunaux allemands, la Revue alsacienne illustrée publia une magnifique défense de la langue française par M. Eccard, avocat à Strasbourg, aujourd’hui sénateur du Bas-Rhin. Un professeur allemand de l’Université de Strasbourg, à demi Alsacien par ses goûts et ses amitiés, et qui prévoyait quelles suites aurait en Alsace le déchaînement de la folie pangermaniste, fut un des plus précieux auxiliaires de Bucher.

Ce fut en France même que Pierre Bucher remporta sa plus grande victoire.

Tous les Français venus en Alsace avant la guerre, journalistes, écrivains, hommes politiques, artistes, conférenciers, ont été ses hôtes ; tous ont été reçus comme des amis dans le charmant logis de l’hôtel de Marmoutier, et ils y ont goûté la bonne grâce de l’accueil alsacien. Avec sa vive intuition des hommes, il puisait dans son trésor d’anecdotes celles qu’il jugeait les plus propres à toucher ou amuser son interlocuteur. De sa voix grave et ardente, il disait la balourdise des Allemands, la fidélité des Alsaciens. Par une historiette gentiment contée il écartait l’objection qui ne s’était pas encore formulée, réfutait le préjugé qu’il avait deviné. Il proposait — impérieusement — des programmes d’excursions. S’il le croyait utile, il se transformait en cicérone : il connaissait tout de son pays, l’âme et les mœurs, les monuments et les paysages, les sentiers et les routes, les châteaux et les auberges. Et toujours causant, battant le pavé de Strasbourg ou escaladant les Vosges, il poursuivait son but : conquérir un Français de plus à l’Alsace. Qui saura le nombre d’études pittoresques ou historiques, de romans, de poèmes, d’articles de journaux qui furent inspirés par lui ? Quelquefois, sa pensée était transmise à la France par des interprètes un peu trop ignorants des vicissitudes de l’histoire alsacienne : il ne s’en plaignait pas, car il voyait clairement l’opinion française sur les choses d’Alsace se modifier d’année en année. Grâce à lui, à la veille de la guerre, la légende de la germanisation était morte.