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Il forma un « Cercle d’étudiants alsaciens, » et quand celui-ci eut été dissous par les autorités allemandes, il groupa les « anciens étudiants. » Il élargit l’œuvre des Cours populaires de langue française fondée par Mlle Wust. Durant les dix années qui précédèrent la guerre, il ne perdit jamais une occasion de combattre le pangermanisme, de réveiller jusque dans les plus petites villes d’Alsace le goût des choses françaises.

On s’est souvent étonné qu’il ait pu mener un pareil combat sans encourir les rigueurs de la police allemande ; mais ce grand batailleur montrait le sang-froid et la prudence d’un politique consommé. Il avait à ses côtés des juristes qui savaient le Code, et ne risquait aucune manifestation, aucune publication, sans s’être assuré qu’il était dans la légalité ; s’il y avait un doute, il prenait les devants et prévenait de son projet l’administration allemande. Celle-ci hésitait, temporisait, mais Bucher tenait bon, et, de guerre lasse, pour éviter un mouvement d’opinion, les bureaucrates finissaient presque toujours par accorder l’autorisation que réclamait cet Alsacien tenace et courtois. S’il en résultait quelque scandale, la meute pangermaniste hurlait, mais le gouvernement du Reichsland l’invitait à se taire, sachant qu’à Berlin on redoutait, par-dessus tout, d’attirer l’attention publique sur les affaires d’Alsace-Lorraine : puisqu’il était officiellement convenu que la germanisation était acquise, il eût été fâcheux de révéler au monde entier qu’il y avait à Strasbourg un inextinguible foyer de mécontentement. Bucher savait la situation, et en jouait. On a parlé sans raison de sa souplesse et de ses ruses. Il se moquait de ceux qui lui prêtaient les allures d’un « conspirateur. » En réalité, il combattit toujours les Allemands à visage découvert. Il attendait beaucoup de leur coutumière sottise, il était rarement déçu.

Il ne fut pas seul dans le combat. Une partie du public le suivait ; une autre, la plus nombreuse, le regardait faire et comptait les coups en riant. Pour chacune des parties de sa tâche. Bucher trouva d’excellents et courageux collaborateurs ; il les entraîna, il leur communiqua sa flamme et sa persévérance. Il plaça chacun au poste où il pouvait le mieux servir. Sans lui, auraient-ils osé jouer la partie ? On ne sait ; mais, sans eux, il ne l’eût jamais gagnée. M. Fernand Dollinger mit au service de la cause sa haute intelligence, sa vaste connaissance de l’histoire de l’Alsace, son dévouement silencieux et acharné.