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à la terre natale, continuer l’œuvre des morts, s’enraciner, n’étaient-ce pas les objets que Bucher proposait à ses compatriotes ? Le hasard d’une rencontre mit un jour l’Alsacien en présence du Lorrain : ils eurent vite fait de se comprendre et de s’aimer. En lisant et en écoutant M. Maurice Barrès, Bucher vit plus clair en lui-même et sut trouver ces brefs mots d’ordre sans lesquels il est impossible de discipliner les imaginations, de coordonner les volontés. En échange, il fournit à Barrès la vivante matière d’un chef-d’œuvre. Quand dans de longues promenades, sous les hêtres et les sapins de la Hohenburg, il livra à son ami les confidences de Ehrmann, alsacien au service de l’Allemagne, et qui n’était autre que lui-même, il lui permit de communiquer à une belle idéologie le frémissement de la passion et de l’héroïsme. Tous deux savaient très bien ce qu’ils se devaient l’un à l’autre.

Ce que voulaient dire Bucher et ses amis, quand ils parlaient de fidélité au sol et aux morts, tous les Alsaciens l’avaient compris, beaucoup l’avaient approuvé, du moins au fond du cœur. De cette « doctrine » découlaient deux conseils pratiques : 1o N’émigrez plus en France, car votre nationalité déjà appauvrie est maintenant en péril ; 2o Demeurez attachés aux traditions de l’ancienne Alsace, c’est-à-dire de l’Alsace française. Un grand nombre de Français et surtout d’Alsaciens passés en France depuis 1871, répugnaient à accepter la première de ces deux maximes. Bucher leur répondait : « Si quelque jour l’Alsace revient à la France, vous serez heureux de la retrouver peuplée de bons Alsaciens ; si elle reste rivée. à l’Empire, est-il inutile au prestige de la France que votre langue continue d’être parlée et votre souvenir respecté de l’autre côté des Vosges ? » Aux Alsaciens qui jugeaient ses efforts vains et dangereux, il se gardait de répondre ; et il continuait inlassablement son ouvrage.

Il publia la Revue Alsacienne illustrée et lui adjoignit, quand il crut le moment venu d’une action directe, les Cahiers alsaciens. Il seconda toutes les tentatives des artistes alsaciens pour s’affranchir des influences d’outre-Rhin. Il contribua à la fondation du Musée alsacien de Strasbourg où sont rassemblés avec un goût parfait toutes les reliques de la vie populaire et campagnarde. Il organisa des représentations théâtrales françaises et encouragea la création des « Cercles des Annales. » Il appela des conférenciers français et provoqua des expositions françaises.