Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/335

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mort il nous jette. Il est un obstacle aux événements futurs. Comment une puissance sortie des camps pourrait-elle s’établir après lui ? N’a-t-il pas tué en la surpassant toute gloire militaire ?... Il sera la dernière des grandes existences individuelles. » La sépulture d’un soldat inconnu sous l’Arc-de-Triomphe ratifie ce verdict.


Quand je questionnais ma belle-mère sur son enfance et son adolescence passées tout entières auprès de Mme de Pellapra, ce que je cherchais, c’étaient des échappées nouvelles sur l’image que sa grand’mère avait gardée de Napoléon. Mais hélas ! les convenances s’interposaient pour obscurcir la vision.

Sous Charles X, une vague de piété, d’austérité même avait passé sur la société française. Un roi triste et dévot régnait ; devenu tel sous l’influence de Mme de Polastron expirante qui, désespérée de devoir quitter ce monde en y laissant le Comte d’Artois, lui fit jurer à son lit de mort qu’il n’appartiendrait qu’à Dieu seul, qu’il ferait pénitence pour elle et pour lui, et, sûre désormais de n’être supplantée par aucune femme, mourut consolée, le laissant dans les bras de la Religion.

Le règne de la Duchesse de Berry aurait sans doute amené quelques changements ; mais, sous les auspices de Marie-Amélie, la vie de famille et les bonnes mœurs reprirent tout leur empire, et la vertu devint à la mode.

Dans l’hôtel de Chimay, avec Mme Tallien pour mère, plaisanter sur la morale, c’était un peu parler de corde. Or, Mme de Pellapra inclinait à tourner les choses sérieuses en plaisanterie. Son humeur était enjouée, folâtre même. A preuve ces deux méchants vers qu’elle apprenait à ses petits-enfants :


Faut d’la vertu, pas trop n’en faut.
L’excès en tout est un défaut !


C’était sa manière de protester contre l’atmosphère de pruderie un peu trop solennelle qui régnait dans l’hôtel du quai Malaquais.

Je comprenais, en écoutant parler ma belle-mère, que gendre et fille s’ingéniaient à faire taire Mme de Pellapra lorsqu’elle s’aventurait à parler de son passé. Mais lorsqu’on a dans son passé Napoléon, et qu’on est une Française des Chansons de Béranger, on finit toujours par en parler. Mme de Pellapra, dès