Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/331

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Très différentes de caractère, aussi différentes qu’il est possible de l’être : l’une, la mère, toute joie, toute légèreté, toute insouciance, sans principes religieux, brave, on l’a vu, puis faible, puis folle, puis charmante, ne faisant en toutes circonstances que perdre la tête, voulant s’empoisonner parce qu’elle croit sa fille morte, et manquant la tuer en croyant la guérir ; l’autre, grave et pure, fière de sa conduite irréprochable, aimant Dieu sans avoir appris de personne à l’aimer, éprouvant au plus vif degré le sentiment de la responsabilité maternelle, non seulement plus tard, envers les enfants qu’elle aura, mais encore et surtout vis-à-vis de cette mère-enfant qu’elle n’a jamais quittée, selon la promesse qu’elle s’en était faite à elle-même, et peut-être aussi à cette grande Ombre qui vivait entre elles deux.


La Destinée amène parfois des rapprochements qui semblent plutôt le fait d’une ironie supérieure que d’un simple hasard. Ainsi, elle donna pour belle-mère à la fille de Napoléon, lors de son second mariage, Thérésia Cabarrus, l’ancienne Mme Tallien, devenue princesse de Chimay, rentrée elle aussi dans l’ordre, tombée dans la dévotion et dans l’oubli.

L’amie des jours gais, un peu trop gais du Directoire, la compagne de Joséphine aux soupers de Barras, celle que Bonaparte devenu Empereur raya sans pitié des listes de la Cour, mêle à jamais, par ce mariage, son sang à celui de Napoléon.

Parlant de sa première entrevue avec la pauvre Thérésia, Emilie retrouve d’instinct l’accent des sévérités paternelles. Il faut dire qu’elle ne l’a connue qu’à l’état de matrone espagnole « d’un énorme embonpoint, » dit-elle, « d’un manque presque complet de distinction... » Elle s’étonne naïvement que la princesse de Chimay n’ait pas la beauté de son fils. Mais n’est-ce pas lui qui a pris la beauté de sa mère ?

Toutes les femmes meurent dans leur jeunesse, une première fois.

Certes, elle n’était plus de ce monde, la Déesse qui osa se montrer nue, comme la Vérité, sans être lapidée, si ce n’est longtemps après, et par ceux qui ne l’avaient pas vue ; elle n’était plus, celle qui écrivit à Tallien ce billet farouche et laconique : « Je vais demain au tribunal révolutionnaire. Je meurs avec le désespoir d’être à un lâche comme vous. »