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Cent Jours. Elle est avec sa mère à une fenêtre des Tuileries dominant le Carrousel. Il passe, sur son cheval blanc, devant le front des troupes.

Elle qui écrit avec simplicité, d’une manière toute naïve et qui se plaint d’avoir mal appris le français, elle trouve, sous le coup de cette émotion, demeurée vive à travers tant d’années, l’expression la plus saisissante pour définir l’état dans lequel la présence de Napoléon jetait tous les hommes : elle parle de « cette fascination animée qu’il faisait naître !... »


En 1815, « Napoléon, qui envahissait seul la France, » comme l’a dit Chateaubriand, retrouvait à ses côtés Mme de Pellapra. Elle venait de courir les grand’routes militaires, sous un déguisement d’opérette. Il s’agissait de distribuer des cocardes tricolores à l’armée de Ney. Habillée en paysanne qui va vendre ses œufs au marché, elle était montée sur un âne, en cacolet, elle d’un côté, de l’autre, les paniers qui contenaient, en place d’œufs, les trois couleurs ! Personne n’eut l’idée de l’arrêter. Elle riait, elle passait ; elle n’avait pas le mot de passe, mais elle avait le mot pour rire. Ce sont des choses qui n’arrivent qu’en France et dans l’Histoire de France. Les soldats jetèrent leurs cocardes blanches ; ils lui criaient : « Hé ! vive la poule qui a pondu ces œufs-là ! »

Il apprend ce qu’elle vient de faire, et, pendant les Cent Jours, lui, l’Empereur, qui doit recommencer l’Empire, la tête toute occupée à ressaisir son génie, cherchant à rassembler dans ses mains puissantes les foudres confisquées, les forces éparses de la France, il trouve le temps de commander à ses joailliers de Paris un bracelet destiné à récompenser le courage d’une femme. Il veut que sur ce bracelet ne figurent que des boucliers, des casques, des haches et des glaives, puisque cette femme a ranimé la foi des soldats et leur a fait reprendre les armes.

Pour lui, elle fera plus, sinon mieux : elle, dont sa fille Emilie, l’auteur des Mémoires, et sa petite-fille Valentine, la princesse Bibesco, s’accordent à dire qu’elle ne fut toute sa vie qu’une enfant, un être bon, frivole et rieur, qui n’avait pas deux grains de raison, qui n’aima au monde que s’amuser et s’attifer, elle se mêle de cette chose ennuyeuse et laide entre toutes, la politique.