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d’une jeune femme dont on vantait la vertu, jusqu’au jour où survint l’amant royal qui l’emporta...

Pauvre Léda ! Par combien de larmes, d’humiliations, dé mauvais traitements, d’insultes, — car les pamphlétaires de 1815 ne l’ont pas épargnée, — a-t-elle payé son jour de gloire, sa faute, cet instant d’amour éblouissant comme l’éclair !

Le 11 novembre 1809, elle mettait au monde une fille à qui elle donnait son prénom d’Emilie. Durant quatre années, elle sera séparée de l’enfant que M. de Pellapra ne veut pas voir, tout en gardant sa femme. C’est sur cette période de sa petite enfance que s’ouvrent les Mémoires de la princesse de Chimay.

Elle est à Lyon, chez sa grand’mère maternelle. Mme Leroy ; elle arrose les capucines du balcon ; une vieille bonne lui danse des sarabandes pour l’amuser ; une jeune bonne l’habille... Enfant de quatre ans, elle est déjà belle, si belle que les passants s’arrêtent pour le lui dire ; elle nomme les louanges publiques qu’elle reçoit : « l’accompagnement ordinaire » de ses promenades. Cette beauté, elle va la porter toute sa vie, dignement, avec une espèce de piété, comme un sacrement qu’elle a reçu à sa naissance. Elle en imprima si fort l’image dans l’esprit de sa fille que celle-ci, la princesse Bibesco, refusait d’admirer aucune des jeunes femmes de son entourage et les comprenait toutes dans le crépuscule général de la beauté, depuis que s’était éclipsé le visage de l’unique perfection.

— Quand on a connu ma mère, disait-elle, aucune femme ne vaut plus la peine d’être regardée.

Et c’est justement à ces traits admirables que semblait en vouloir le père rancunier et atrabilaire que la loi donnait à la petite Emilie. C’est au visage qu’il la frappait. Elle nous le raconte : « Je me vois encore au milieu du cabinet de mon père, cachant dans mes petites mains mon visage meurtri... Je me rappelle aussi la perte de mes charmants cheveux frisés en longues boucles, que l’on me coupa comme à un forçat... » Et toutes ces violences pour une leçon de piano mal apprise ! Elle n’avait pas d’oreille. Napoléon aussi chantait faux et n’était pas musicien.

Son vrai père, celui dont elle tenait cette beauté si chère (il suffit de regarder le masque aux Invalides pour se convaincre ! qu’il avait des traits comme on en prête aux dieux), elle ne l’a vu qu’une fois. C’était à la revue des Fédérés, pendant les