Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Napoléon, comme Phèdre le soleil. Elle descendait de l’Empereur en ligne droite, à la manière d’un rayon, par sa mère, cette belle Emilie de Pellapra, qui devint plus tard comtesse de Brigode et puis princesse de Chimay.

Quant à Mme de Pellapra, la grand’mère, qui s’appelait aussi Emilie, sa petite-fille éprouvait pour elle une tendre prédilection. Son portrait était placé en évidence dans le salon où ma belle-mère aimait le plus à se tenir. Elle y est représentée en robe Empire de mousseline de soie blanche, festonnée, brodée et rebrodée au plumetis de fleurs en soie blanche. Sous l’étoffe légère, aux transparences laiteuses, le regard suit facilement le contour du corps souple, jeune et joyeux. Un petit pied plein d’orgueil avance sous la robe délicate, chaussée de satin bleu pâle ; ce soulier d’enfant est retenu par des rubans croisés sur la jambe, à la manière des cothurnes. La figure est d’une jolie bourgeoise de France, brune aux yeux bleus ; le sourire moqueur creuse une fossette dans la joue. Le châle des Indes à la mode, un châle jaune rapporté d’Egypte, s’enroule autour du bras. Un grand air de coquetterie se dégage de toute la personne. Le chapeau de chez la bonne faiseuse, garni d’une longue plume rose, est posé à côté de la dame, sur le rocher artificiel où elle est plutôt allongée qu’assise.

Mme de Pellapra (la particule est supprimée dans le livre de M. Frédéric Masson [1], donc je suis tentée de croire qu’elle n’exista que par la suite dans l’imagination des descendants princiers de la dame, anoblie par sa progéniture à la mode chinoise), Emilie Leroy, pour l’appeler par son nom de jeune fille, était Lyonnaise. Et c’est à Lyon, suivant la tradition familiale, que pour la première fois Napoléon l’a vue, désirée et même, un instant, aimée.

S’il fallait à Léda d’autres excuses que l’éblouissement causé par le cygne et le maître du tonnerre, s’il lui fallait se faire pardonner sa faiblesse qui fut de se laisser troubler par celui qui troubla le monde, on trouverait ces excuses dans les Mémoires de sa fille, où M. de Pellapra apparaît presque à chaque page comme le plus haïssable et le plus méchant des hommes.

« Elle ne pouvait tomber qu’en haut, » disait un ministre

  1. Frédéric Masson, Napoléon et les femmes, p. 270.