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UNE FILLE DE NAPOLÉON
ÉMILIE DE PELLAPRA
COMTESSE DE BRIGODE, PRINCESSE DE CHIMAY


« Toi, dont ma mère osait se vanter d’être fille... »
(RACINE, Phèdre.)


Lorsqu’à l’âge de quinze ans, je passai, en qualité de future belle-fille, sous l’autorité de ma tante, la Princesse Georges Bibesco [1], j’eus la bonne chance de comprendre que sa férule était une baguette magique, que je ne pouvais tomber mieux selon mes goûts et que, si je n’avais pas eu de fée à mon baptême, j’en allais avoir une à mon mariage, puisque ma belle-mère était fée. Elle m’ensorcelait en me parlant de Napoléon. Je crois qu’elle avait conscience de son pouvoir d’enchantement et qu’elle en usait avec plaisir et malice. Elle mettait sous mes yeux, entre mes mains, des objets ayant appartenu à l’Empereur : un mouchoir de batiste, un canif, un flacon de sels ; elle me montrait à son cou un médaillon contenant une miniature singulièrement expressive, pour laquelle l’Empereur avait posé, lui qui n’y consentait presque jamais, lui dont la patience était courte et les instants comptés !

Ces minutes dérobées à une vie prodigieuse, à qui, et pour quelles raisons, les avait-il données ?

Une autre miniature, ressemblant davantage à ses portraits officiels, le représentait dans son uniforme vert de colonel de la Garde, le Grand Cordon de la Légion d’honneur barrant le gilet blanc. Au-dessus, prise dans le cadre d’ébène à incrustations

  1. Valentine de Riquet. comtesse de Caraman-Chimay, princesse Bibesco, née à Ménars, le 15 février 1839, morte à Bucarest le 25 août 1914.