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26 juin, 2 heures.

Encore un déjeuner charmant chez les aimables Placci avec une très jolie femme, la marquise Guiccardini, née Strozzi, et le fils du prince Ginori Conti, un enthousiaste, hélas ! du Rôle social de l’officier. Il a fallu encore sortir ma petite tartine, mais la matinée m’avait mis en disposition de tout subir. — Une heure de tête à tête avec le Pensiero, puis aux Niobides : je voulais les revoir parce qu’antiques grecs, non pas qu’elles m’emballent ; dès que nous sortons de la sérénité pour entrer dans le pathétique, oh ! alors je préfère Michel-Ange.

A la tribune des Uffizi, un simple salut à la Madone au Chardonneret, à la Fornarina et au Saint-Jean, — la vierge, l’amante, l’apôtre, — l’idéal, l’amour, l’action, — en un mot, toute la vie.

Et les hôtes chez qui je redescendais déjeuner vers une heure étaient bien faits, le frère et la sœur, pour me garder en l’état de grâce de la communion des chefs-d’œuvre. Ils com- prennent et aiment l’âme de leur Florence, fort loin de mon petit officier grec de Sparte qui était « blasé sur les antiquités. »


Ravenne, 26 juin, 11 heures soir.

Pour clore mon cercle byzantin, j’avais résolu de venir à Ravenne. Ce matin, à Florence, tandis que je bouclais ma valise, Placci accourt, la dernière Revue à la main, et me dit : « Lisez. » C’était l’article de Vogué : A Ravenne [1]. J’eus à peine le temps de le feuilleter, mais en cette rapide vision, la « douce morte, » comme il la nomme, m’avait déjà saisi et j’avais entendu l’appel des « blanches saintes aux grands yeux dilatés » déroulant leur procession sur les vieilles mosaïques. En prenant le train, j’ouvre les journaux et ce que j’y trouve tout d’abord, c’est la profession de foi de ce même Vogüé demandant aux électeurs de l’Ardèche de lui ouvrir la vie publique. Voici des semaines que j’étais hors de France sans information et sans lecture et les deux premières que je trouve viennent de cet ami cher entre tous : l’une, prestigieuse évocation d’art, l’autre, un bel acte de courage civique. Allons, je suis bien encore à Florence au temps des grands artistes et des grands citoyens ; leur semence a fécondé le monde. Ah ! le cher Vogüé qui a toujours su regarder et comprendre « demain » sans renier « hier ! » Combien je m’enorgueillis d’avoir été un de ses fidèles de la première heure et

  1. Voyez la Revue du 15 juin 1893.