Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 62.djvu/313

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les campaniles ajourés, les chemins en lacets, les ponts en accent circonflexe, semblent arrangés exprès, par quelque orfèvre.

Et, dans cette chartreuse riante, quel contraste avec l’autre, celle du Dauphiné ? Ici, le cloître enguirlandé de pampres enclôt gaiement le cimetière qui ne semble d’abord qu’un jardin fleuri ; là-bas, le cimetière enveloppe tout et les cellules des vivants au pied des rochers dressés comme des mausolées semblent prolonger les tombeaux des morts. Tout y crie la pénitence et le « rachat des péchés du monde ; » ici, les bons pères réjouis vivent parmi les chefs-d’œuvre ; sur le dallage du cloître, dorment posés à même le sol, comme si l’on venait de les y étendre, les corps de marbre des prieurs, des Acciaioli, du cardinal Buonafède, sculptés par Jean de Bologne, par Julien da San Gallo. Ils dorment sous la lumière tamisée de vitraux de Jean d’Udine, des camaïeux bruns dont chacun est une merveille.

La matinée et la journée, à travers les rues, familièrement mêlé à la douce vie des Florentins en fête, le coucher du soleil à cette chartreuse d’Ema, les repas chez des amis ouverts à tout ce que j’aime, voilà certes une journée à marquer d’un caillou blanc.


Dimanche, 25, soir.

Aujourd’hui encore tout est fermé, sauf les églises : mais les églises de Florence, chacune d’elles est un musée I L’embarras n’est pas de savoir comment employer son temps, mais d’avoir le courage de choisir et s’imposer fermement de ne pas chercher à tout revoir : j’ai, par mes séjours d’autrefois, une suffisante vue d’ensemble ; je me suis donc astreint strictement à Santa-Croce et à Sainte-Marie Nouvelle sans un regard pour le reste.

A Santa-Croce, j’étais chez Giotto, et toute ma matinée s’y est passée, tandis que les messes se succédaient, à renouer curieusement mes souvenirs byzantins, fermant de plus en plus le cercle sur le Saint-Jean de la mosquée de Karyé. J’y ai eu aussi cette joie particulière et rare de « découvrir » des œuvres que ni amis ni guides ne m’avaient signalées, les retables d’Orcagna qui sont à la sacristie et cet autre beau retable de Taddéo Gaddi, procédant de Giotto, qui est dans la chapelle Rinuccini.


A deux heures, après le déjeuner chez Placci où nous avions, hélas ! beaucoup politique, j’étais à San-Gervaso-sous-Fiesole chez la comtesse Rasponi, où nous avons. Dieu soit loué, uniquement