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emplir le vaste vaisseau de la plus vieille des basiliques du monde : omnium urbis et orbis ecclesiarum mater et caput.

La place et les abords de Latran sont en fête, couverts de boutiques de foire, de peuple, de bruit, de mouvement et d’équipages, et ce n’est que le commencement, et j’aurais bien voulu voir jusqu’au bout cette fameuse nuit de la Saint-Jean, où tout Rome se porte autour de Latran, en dansant, en chantant, festoyant jusqu’à l’aube venue. Ce sont, dit-on, de vraies bacchanales et, après minuit, l’aristocratie elle-même vient y faire faire un tour à ses voitures. Mais je ne puis prolonger, je suis attendu demain à Florence ; je viens d’offrir à diner à mes jeunes amis des deux académies ; L... va me venir chercher, ma malle est bouclée et il faut partir.

Encore quelques instants de répit, j’en profite pour t’envoyer les quelques dominantes qui résultent de cette rapide traversée de Rome après dix ans de séparation.


La Rome artistique s’en va, il faut se dépêcher de venir voir ce qui en reste : les Italiens croient faire de l’art parce qu’ils bureaucratisent, et, avec leurs tourniquets et leurs musées propres, ils enlèvent l’imprévu, la patine, le laisser-aller exquis qui étaient le charme de Rome. La suppression des majorats et l’expropriation des princes romains sont des crimes contre l’art. Ils ne veulent pas admettre que leur ville soit mondiale. Noblesse oblige, et ici l’exceptionnelle grandeur de ces souvenirs, de cette histoire et de ces noms obligeait à maintenir comme spécimens de bibelots rares, dans leurs cadres dorés, ces beaux et décoratifs inutiles, de même qu’on entretient les Bouddhas de l’Inde.


Ils sont (je parle ici de mes amis noirs), sous le charme de l’empereur d’Allemagne : ses procédés avec le Pape les ont conquis, et comme ils sentent bien que, malgré son protestantisme, il est autrement plus de leur « bois » que notre démocratie républicaine, ils seraient enchantés de voir la diplomatie pontificale s’appuyer désormais sur lui. Elle n’y parait, il faut le reconnaître, nullement disposée. Le Pape est plus « francisant, » plus inébranlable dans sa voie que jamais et, quelques couleuvres que Paris lui fasse avaler, ne perd pas une occasion d’affirmer son adhésion au régimé. La princesse Altieri, disciplinée, s’incline : Montfanon-L... écume.