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Ils en sont ruinés et c’est la consolation ; elle est maigre. Tu devines si j’ai trouvé de l’écho à mes indignations en arrivant à huit heures au Palais Altieri où il n’y avait avec moi que L..., plus Montfanon que jamais. Ils avaient le rouge au front et les larmes aux yeux d’une nouvelle insulte. Le séquestre qui, depuis l’effondrement des Borghèse, a l’administration de leurs biens, vient de louer tout le premier étage (ce qu’on nomme ici l’étage noble, le piano nobile) du palais Borghèse, le palais de Paul V, à la loge maçonnique, qui, entre autres aménagements intérieurs, morcelle, pour les installations les plus domestiques, la chapelle où les papes ont dit la messe.

J’ai ramené L... chez lui : il s’était un peu calmé ; pour chasser le présent, nous avons demandé secours au passé : il a recherché les photographies de ses vieux compagnons d’armes de l’armée pontificale : zouaves, dragons, guides de Lamoricière, tous ont défilé devant moi, portant des noms de France amis, et sur chacun Montfanon étiquetait une histoire, et voici que peu à peu, elles sont devenues de plus en plus lestes, leurs histoires, et les siennes personnelles elles-mêmes sont venues s’y mêler, et je le laissais aller très amusé, et j’ai fini par me tordre et par lui dire : « Eh bien ! dites donc, mon bon L..., vous allez bien ! et Babylone ? et l’Apocalypse ? » Il en a convenu en riant, un peu honteux de ses réminiscences, et tout de même détendu de s’être cru pendant deux heures avec quelque camarade des dragons, au temps de Charette et des autres. Ce qui n’empêche qu’il mène une vie de saint. Le domestique qui me sert à la Minerve est un de ses vieux dragons qui jubile de voir son ancien capitaine familièrement installé dans ma chambre, et, lui parti, m’en raconte à ne plus s’arrêter, sur le bien qu’il fait, les malheureux qu’il secourt, les œuvres qu’il anime de sa chaleur, les humbles avec qui il est « si peu fier, » les enterrements de pauvres qu’il accompagne dans sa cagoule de pénitent, — et c’est vrai que me promenant avec lui ce matin, c’étaient, à chaque pas, dans son quartier, des petits qui le saluaient d’un sourire de connaissance et à qui il répondait cordial : Buon giorno, carissimo.


Vendredi 23, 11 heures soir.

Ce matin à cinq heures et demie, M. Goyau m’accompagnait aux catacombes de Saint-Calixte où j’avais fini autrefois par ne