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seconde Académie de France, qui est, comme tu sais, pour les historiens et les archéologues ce qu’est la Médicis pour les artistes. Causé Bourget, Montfanon, Princes romains, fouilles récentes, encycliques prochaines, anniversaire de Palestro, beaucoup de choses qui ne s’écrivent pas.


Jeudi, 22 juin, soir.

Emploi du temps d’aujourd’hui.

La matinée au Vatican à revoir la Sixtine, les Chambres et la Pinacothèque.

A 1 heure, déjeuné à la Villa Médicis avec mes charmants architectes : salle à manger improvisée dans l’atelier de l’un d’eux, parmi les bibelots, les aquarelles et les maquettes, la fenêtre grande ouverte sur ce panorama unique au monde qu’ils ont de la villa et qui m’avait déjà affolé il y a dix ans, tu t’en souviens. Feuilleté nos souvenirs communs de Grèce, les photographies, les croquis et si douces causeries, ensuite, étendus à l’ombre sous les pins et les cyprès de ce bois sacré, laissant flotter nos regards sur la villa Borghèse, ses jardins et ses terrasses, et détournant nos yeux de ce qui fut la villa Ludovisi, hélas ! si exquise il y a dix ans, détruite aujourd’hui et remplacée par de hideuses maisons de rapport qui, grâce au ciel, ne rapportent pas.


Puis au Forum, où, depuis dix ans, les fouilles nouvelles ont dégagé le couvent des Vestales. — Au Colysée, ― le long du Tibre... mais ici je m’arrête brusquement, je me cache les yeux et je me sauve ! Les sauvages ! ont-ils assez saccagé tout ceci ! Quelle profanation ! ce coin classique, légendaire, fixé par tant de tableaux, que j’avais vu encore tel que Piranesi le grava, ce lieu sacré, où, au-dessus de la voûte des Tarquins, le petit temple rond regardait depuis 2 000 ans le Tibre couler sous le vieux pont Sisto tout lézardé et moussu, — ce cadre, arrangé par les siècles, de débris sculptés, de maisons populaires et d’arbres venus au hasard avec, pour fond, les hautes ruines du Palatin, pans de tours et cyprès entremêlés, ce coin sacré n’existe plus ! Une grande usine à gaz, des nivellements, un pont battant neuf, et l’on finit en cherchant par retrouver le pauvre petit temple qui se cache tout frileux derrière les maçonneries glacées d’un hideux quai inutile et ruineux comme tout ce qu’ils font ici.

Ah les barbares ! ils ont bien arrangé Rome depuis dix ans !