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XII


Naples, 20 juin, soir.

Hier à Pœstum, les trois grands temples doriques dans les roseaux, — on y arrive mal par le chemin de fer, — une douzaine de bicoques, une grande ferme en encombrent l’abord : au dernier tournant, on arrive sur eux, trop près. Et puis il faut passer par cet odieux tourniquet que Mistra n’a pas encore, et de dessous chaque colonne vous partent dans les jambes des gamins, collants comme des mouches, vous harcelant de leurs offres de médailles fausses. Quand nous referons ce voyage ensemble, ce qui ne saurait manquer, nous prendrons à Salerne un bateau, et c’est par mer que nous arriverons aux Temples. A cinq cents mètres de la plage, ils se dressent tous trois dans les roseaux : de ce côté, ni une maison, ni un arbre, ni un employé et l’impression est intacte.


Le charme du retour dans une ville déjà visitée, c’est d’y être débarrassé de l’ennuyeux et indispensable débrouillage. La première fois, on s’est cru forcé de tout voir, on n’a pas de motif de faire un choix et l’on craint, en négligeant quelque chose, de laisser un regret. La seconde fois, ce n’est plus cela : si vite qu’on passe, on va droit à ce que l’on veut revoir ou à ce qu’on avait à tort laissé de côté. C’est ainsi que je suis allé hier à cinq heures, sitôt en débarquant, à San Giovani, à Carbonara où les tombeaux des Caracciolo, à peine entrevus jadis, me hantaient.

Je te montrerai la photographie du grand tombeau de Sergianni Caracciolo. C’est à peine le commencement de la Renaissance ; Michel-Ange n’est pas venu ; l’imprimerie non plus, ni la Réforme : il n’y a pas encore de nerfs, de surchauffement cérébral. Les personnages sont d’aplomb, très calmes avec des têtes sans inquiétude qui regardent en dedans, très placides. Et en même temps ils sont vivants comme des portraits, et me rappellent les rudes et solides figures de ces conseillers municipaux d’Athènes dont les bustes m’ont tant frappé là-bas. Et ici j’ouvre une parenthèse pour une notation qui me revient d’Athènes : ne pas s’imaginer que le type grec y courût les rues, il y a vingt-cinq siècles et qu’on n’y rencontrât que des Hermès et des Apollon : nombre de bustes, réalistes et sincères, témoignent qu’ils avaient leurs braves têtes vulgaires tout comme nous ; si