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C’est en vain qu’en cette soirée de douloureux souvenirs j’ai voulu chercher quelque douceur dans les églises de Salerne. C’est toute l’horreur de la dévotion italienne ; j’y retrouve la camelote des églises de Naples, les armoires à glaces, les madones à bagues, à pompons, à éventails, et des prêtres tout pareils à ceux que peint Frappa : en voici un en camail lilas, qui, avec un gros abbé, palpe et soupèse la pièce que j’ai dû donner pour descendre dans la crypte, et, sans qu’on sache ce qui les prend, ils éclatent d’un gros rire qui remplit l’église où la prière du soir finit à peine. Je trouverais cela fort plaisant s’il s’agissait de muphtis turcs ou de bonzes chinois ; je l’apprécie infiniment moins chez ces prêtres du christianisme dont nous sommes issus. Malgré moi, ce simple froissement évoque l’irréductible malentendu qui écarte tant d’hommes de bonne foi et de bonne volonté ; — devant ce minime détail je revois, hélas ! tout ce parasitisme meurtrier qui a peu à peu enlacé le grand arbre, en suce la sève, le tue, et, malgré tant d’efforts, malgré tant de libérales et généreuses révoltes, malgré Léon XIII, malgré la perfection de la doctrine, malgré la grandeur des origines, malgré l’incomparable vertu de l’Évangile, malgré son modernisme social, empêche l’Eglise d’être dans le grand conflit un arbitre écouté, fausse son action, écarte d’elle tant d’alliés naturels. Ahl nous sommes loin ici de Monseigneur Ireland. Tiens, il y a juste un an aujourd’hui que je l’entendais ! C’est tout de même un contraste ! Je le revois, ce fort, cet athlète, aux grands yeux regardant vers demain, le poing sur la hanche, en simple redingote, à la salle de la Société de géographie, — et ce soir, à la même heure, sous le vieil ambon byzantin de Salerne, ce vieux prêtre mièvre, onduleux, en camail de satin tendre. Il tient quelques chapitres d’histoire entre ces deux visions. Trouveront-ils là-bas, de l’autre côté de l’Atlantique, la formule de l’alliance nouvelle ? En viendra-t-il quelque jour la parole pacificatrice écoutée et acceptée de tous, je ne sais ; mais ce que j’affirme bien c’est qu’elle ne viendra pas d’ici.


Je pars à l’aube pour Pœstum où je vais chercher trois grands temples, du dorique primitif, datant de cinq ou six siècles avant notre ère, seuls vestiges d’une immense ville, émergeant presque intacts d’une lagune de roseaux.