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temples doriques : au musée de Naples, mardi, les plus beaux antiques après ceux d’Athènes ; à Rome, mercredi et jeudi, négligeant tout ce que je connais déjà, j’irai revoir simplement les antiques du Vatican et je finirai la semaine avec ceux de Florence. L’an prochain, je compte, avec la Sicile, achever l’initiation grecque, je t’assure qu’elle est déjà en bonne voie.


18 juin, soir.

Cette journée de cruel anniversaire, j’avais pensé qu’il serait doux de la vivre entre les vieilles cathédrales d’Amalfi et de Ravello. J’en reviens, — la voiture m’a ramené à Salerne par cette route en corniche qui passe pour une des plus belles du monde. Bien belle, certes ! et pourtant, pourquoi ici, faut-il encore que le souvenir de la lumière attique atténue la joie ? Pourquoi sous ce ciel, sur cette mer bleue aux reflets d’or, ces rochers restent-ils gris, ces routes restent-elles blanches et ces maisons plus que blanches encore, d’un éclat aveuglant de craie ? Là-bas, I les rochers sont roses, les maisons sont roses : toute matière s’est imprégnée de lumière : nulle crudité n’offusque l’œil, et c’est une inoubliable vision.

Je ne l’ai pas faite seul, cette course d’Amalfi : à l’hôtel, une vieille dame allemande m’a fait demander de s’y associer et j’ai accepté : d’abord elle me paye la moitié de ma voiture ; ensuite comme tant d’Allemandes de sa classe « elle est la veuve d’un médecin de Dusseldorf) elle est instruite et cultivée ; enfin elle ne sait pas un mot de français, ce qui me vaut une excellente leçon d’allemand. Elle a paru radieuse et fut discrète et reconnaissante à souhait. Nous avons causé Allemagne, musique, religion.


Eh bien ! je suis forcé d’en convenir, cette route est admirable et l’ambon de Ravello est une pure merveille.


Mais je me sens trop proche du retour. J’ai rencontré un régiment : des colonels rudoyaient des capitaines, qui rudoyaient des lieutenants, — et je fus brusquement ramené à ce que je vais retrouver dans dix jours. Elle n’existe donc nulle part, la belle armée de mes rêves, confiante, cordiale et gaie, battant spontanément d’un seul cœur, et que chez nous surtout, avec les qualités de notre race, il serait si facile de faire, si vite ; mais les traditions, la morgue, la méfiance, le fonctionnarisme seront les plus forts, toujours.