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Jusqu’à 11 heures sur le pont je cause avec le capitaine, le Dalmate Giacinto Mattiazi, cavalière, vieux routier grisonnant qui déballe tout son sac de potins sur les Habsbourg, l’Impératrice, l’archiduc Rodolphe.


Salerne, le 17 juin, soir.

En pleine Italie ! à quarante heures de Paris : triste journée, de la pluie, du ciel gris : la traversée des Apennins ; des montagnes quelconques, Vosges, Jura, Auvergne. Je les connais, mais la lumière ! qu’en a-t-on fait ? Ah ! qu’on me laisse tranquille avec les paysages de lignes ! Comme en Afrique, il y a dix ans, je ne demande que la lumière et la couleur ; elles me grisent, elles me saoulent, j’en jouis sensuellement comme d’un parfum, comme d’une caresse. Aux Alpes sans soleil je préfère le navrant Sahara embrasé. Que m’importent ces chênes, cette verdure bête, ces gorges grises ? O Hymette rose, ô Cyclades, où êtes-vous ? Et puis, ça sent le retour, cette ville où une population en veston et en chapeau se presse à la musique ; les employés sont arrogants, la douane méticuleuse, allons, nous sommes bien en pays civilisé ; cela sent le retour, la dépêche ne coûte plus que 2 francs au lieu de 10 francs, il y a un Figaro à l’hôtel ; c’est la fin de cette bonne fatigue du voyage, reposante et détendue et le retour au repos stérile, agité et éreintant de la garnison.

Et, après de telles journées, pluvieuses, grises, sans intérêt, la hantise de la solitude vous ressaisit et vous étreint le cœur.

Mais chassons cela en causant nous deux. Laisse-moi t’expliquer mon itinéraire de retour. Tu sais que je n’aime pas les voyages « bourlingues » et que je les fais volontiers pivoter autour d’une idée conductrice. Or à ce voyage, j’ai donné deux « dominantes, » le byzantin et l’art grec. Le byzantin, je l’ai laissé depuis Constantinople, sauf une brève reprise de contact à Mistra, mais je vais en retrouver l’empreinte à Amalfi, à Salerne, à Ravello dans les belles cathédrales byzantino-normando-arabes, puis j’irai le rechercher à Ravenne et enfin à Venise. Quant à l’art grec, le meilleur complément de la révélation d’Athènes, c’eût été la Sicile, mais il eût fallu trois semaines dont je ne dispose pas ; après elle, c’est dans l’Italie du Sud, la Grande-Grèce, que subsistent les plus beaux vestiges, et c’est pourquoi j’y reviens. Je vais aller voir à Pœstum les beaux