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évangélique la multiplicité des sectes qui existent en Russie. Assurément, le discrédit, où l’Église officielle est tombée depuis qu’elle s’est laissé asservir par l’autocratie, a contribué au progrès de l’esprit sectaire. Mais la prolifération des schismes est due à des exigences plus intimes de l’âme russe.

Innombrables en effet sont les communautés religieuses qui se sont détachées de l’Église orthodoxe ou qui ont pris naissance hors d’elle. Il y a d’abord la plus ancienne, comme aussi la plus considérable et la plus austère, le Raskol, qui n’est pas sans quelque ressemblance avec notre jansénisme. Il y a ensuite les Doukhobors, qui n’admettent qu’une source de foi, l’intuition intérieure, et qui se refusent au service militaire pour n’avoir pas à verser le sang ; — les Beglopopovtsy, les prêtres abjurateurs, qui fuient la servitude démoniaque de l’Église officielle ; — les Molokanes, « buveurs de lait, » qui s’appliquent à réaliser la vie galiléenne dans sa pureté intégrale ; — les Stranniki, les « errants, » qui, pour échapper au Royaume de l’Antéchrist, voyagent indéfiniment à travers les steppes et les forêts glacées de la Sibérie ; — les Chtoundistes, qui prêchent le communisme agraire « pour mettre fin au règne des Pharaons ; » — les Khlysty, qui, dans leurs extases érotiques, sentent le Christ s’incarner en eux et dont Raspoutine est aujourd’hui le plus brillant adepte ; — les Skoptzy, qui s’émasculent pour s’affranchir des turpitudes charnelles ; — les Bialoritzy, qui s’habillent en blanc « comme les anges célestes » et qui vont, de village en village, professant l’innocence ; — les Pomortsy, qui renient le baptême qu’ils ont reçu dans leur enfance, parce que « l’Antéchrist règne sur l’Église, » et qui renouvellent de leurs propres mains le sacrement baptismal ; — les Nikoudichniky, négateurs outranciers de la règle sociale, qui cherchent sur terre, « là-bas, toujours plus loin, » le vrai Royaume de Jésus, où le péché est impossible ; — les Douchitély, les « étrangleurs, » qui, par pitié humaine, par commisération rétrospective pour le patient du Calvaire, abrègent les agonies douloureuses en serrant la gorge des moribonds ; — que d’autres encore !...

Toutes ces sectes dérivent des mêmes principes. On y retrouve l’idée d’un culte uniquement fondé sur la pureté du cœur et sur la fraternité des hommes ; le besoin d’établir un rapport direct entre l’âme et Dieu ; l’impossibilité de croire que le clergé soit un médiateur indispensable entre le Père céleste