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à travers tout le monde : aucune race n’est aussi charitable.

Le moujik est d’ailleurs assoiffé pour lui-même de la miséricorde qu’il prodigue aux autres. Son visage est émouvant de ferveur et de supplication, quand, avec de longs signes de croix, il murmure le refrain perpétuel de la liturgie orthodoxe : Gospodi, pomilouï !… « Seigneur, ayez pitié de moi ! »

Après la commisération pour les affligés, le sentiment religieux qui me paraît le plus actif dans la conscience populaire est le sentiment du péché. Là encore, on retrouve l’influence de la prédication galiléenne. Le Russe est comme hanté par l’idée de la faute et de la pénitence. Avec le publicain de la parabole sainte, il répète sans cesse : O Dieu, soyez indulgent pour moi, pauvre pécheur ! Dans le Christ, il voit principalement Celui qui a dit : Le Fils de l’Homme est venu sauver les âmes en péril, et qui a dit aussi : Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. Le moujik ne se lasse jamais d’écouler l’évangile de saint Luc, qui est par excellence l’évangile du pardon. Ce qui le touche au plus profond de son cœur, c’est le privilège d’indulgence et de prédilection que le divin Maître accorde à ceux qui détestent leur faute : Il y a plus de joie dans le ciel pour un pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de pénitence. Il se fait raconter indéfiniment la parabole de l’enfant prodigue et de la brebis égarée, la guérison du lépreux samaritain, la promesse du Royaume de Dieu au bon larron crucifié.

Ainsi, contrairement à l’opinion commune, le Russe est très loin d’attacher aux rites extérieurs une importance exclusive. Certes, les pratiques du culte, les offices, les sacrements, les bénédictions, les icônes, les reliques, les scapulaires, les cierges, les chants, les signes de croix, les génuflexions, jouent un grand rôle dans sa piété ; car son imagination vive le rend très sensible aux spectacles. Mais, ce qui domine et de beaucoup chez lui, c’est la foi implicite ; c’est le christianisme pur, dépouillé de toute métaphysique ; c’est la confiance dans li justice de Dieu et la terreur de sa sévérité ; c’est la pensée constante du Sauveur ; c’est encore une lente rêverie sur la souffrance et la mort, une vague méditation sur le monde surnaturel qui nous dépasse et sur le mystère qui nous enveloppe.

À beaucoup d’égards, on peut expliquer par l’idéalisme