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j’étais en grande tenue, dans une voiture de la Cour, avec un maître des cérémonies à côté de moi), j’ai subi la règle commune : l’officier de police en faction à la grille d’honneur est venu jeter un coup d’œil dans le carrosse et s’est fait remettre par le valet de pied le laissez-passer réglementaire. Comme je marquais un jour au Directeur des Cérémonies, Evréïnow, quelque surprise d’un formalisme aussi strict, il me répondit : — « Oh ! monsieur l’ambassadeur, on ne prendra jamais trop de précautions... N’oubliez pas que, dans les derniers temps de l’empereur Alexandre II, les nihilistes ont fait sauter la salle à manger du Palais d’hiver à quelques pas de la chambre où agonisait la pauvre impératrice Marie !... Nos révolutionnaires d’aujourd’hui ne sont ni moins inventifs, ni moins audacieux... Ils ont tenté, sept ou huit fois déjà, de tuer Nicolas II... »

La Sûreté de Sa Majesté l’Empereur a des attributions plus vastes ; c’est comme une succursale de la grande Okhrana, mais sous la dépendance exclusive et directe du Commandant des Palais impériaux. Elle est dirigée par le général de gendarmerie Spiridowitch, qui dispose de 300 agents, ayant tous fait leurs preuves dans les cadres officiels de la police judiciaire ou politique ; il soudoie, en plus, de nombreux agents secrets. La principale fonction du général Spiridowitch est de pourvoir à la sûreté des souverains en dehors de leur palais ; aussitôt que le Tsar ou la Tsarine ont franchi l’enceinte du Dvoretz, il est responsable de leur vie. C’est une responsabilité d’autant plus lourde que Nicolas II, très fataliste, pieusement assuré « qu’il ne mourra pas avant l’heure fixée par Dieu, » n’admet pour sa protection personnelle que des mesures très discrètes, aucun déploiement visible de forces policières. Afin de jouer efficacement son rôle, la Sûreté impériale a besoin de connaître à fond l’organisation, les desseins, les entreprises, les complots, toute la vie audacieuse, remuante et clandestine des partis subversifs. A cet effet, le général Spiridowitch reçoit communication de tous les renseignements recueillis par le Département de la Police et par l’Okhrana. La mission de haute importance, dont il est investi, lui attribue, en outre, le droit de pénétrer dans toutes les administrations, de réclamer toutes les enquêtes. Le chef de la Sûreté impériale met ainsi à la disposition de son supérieur direct, le Commandant des Palais impériaux, un instrument redoutable d’espionnage politique et social.