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organisme d’enquête et de coercition. Après quelques années de ce régime, la Russie fut essentiellement un État policier.

Dans le désarroi qui suivit la guerre de Crimée, Alexandre II sentit la nécessité de moderniser un peu la législation administrative de l’Empire. C’est ainsi que le système judiciaire, qui n’offrait aucune garantie de justice, subit une refonte complète dans le sens des idées occidentales. La Troisième Section conserva néanmoins ses privilèges exorbitants. Pour apprécier le rôle qu’elle tenait dans l’État et le crédit dont elle jouissait dans la société, il suffit de rappeler qu’elle eut successivement pour chefs le comte Orlow, le prince Dolgorouky, le comte Schouvalow.

L’assassinat d’Alexandre II en 1881 et l’expansion du mouvement nihiliste donnèrent beau jeu aux adversaires des réformes libérales. Durant tout son règne, le « très pieux » Alexandre III s’évertua consciencieusement à étouffer les germes funestes du « modernisme » et à ramener la Russie vers l’idéal théocratique des tsars moscovites. La police exerça naturellement une fonction prééminente dans cette œuvre de réaction. Mais, depuis le mois d’août 1880, elle n’était plus rattachée à la Chancellerie privée de Sa Majesté Impériale : elle ressortissait au Ministère de l’Intérieur, où elle formait un département spécial, avec le corps des gendarmes.

Sous la direction du général Tchérévine, ami personnel d’Alexandre III, elle fut aussi puissante qu’au temps de Nicolas Ier. Enveloppée de son mystère, étendant ses ramifications dans tout l’Empire et à l’étranger, indépendante des tribunaux, disposant de ressources énormes, échappant à tout contrôle, elle imposa maintes fois ses actes aux ministres et à l’Empereur même.

Le culte que Nicolas II professe pour la mémoire et les opinions de son père, le détourna de rien changer à une institution animée d’un si pur loyalisme et qui veille si jalousement à la protection de la dynastie. Ses ukazes du 23 mai 1896 et du 13 décembre 1897 ont encore accru et fortifié les pouvoirs de la police.

On le vit bien pendant les troubles révolutionnaires de 1905, quand l’Okhrana suscitait partout des grèves, des attentats, des pogroms ; quand elle mobilisait les Bandes noires du général Bogdanowitch ; quand elle essayait de soulever le fanatisme des masses rurales en faveur du tsarisme orthodoxe. Le débat qui s’ouvrit en juin 1906 devant la Douma, les divulgations du