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pas cet arrêt de toutes les offensives et ces retraites continuelles qui semblent ne devoir jamais finir... Pourtant, ce n’est pas le Grand-Duc Nicolas que l’on incrimine ; c’est l’Empereur, et plus encore l’Impératrice. On fait courir sur Alexandra-Féodorowna les histoires les plus absurdes ; on accuse Raspoutine d’être vendu à l’Allemagne et l’on n’appelle plus la Tsarine autrement que la Niemka, l’Allemande... »

Voilà plusieurs fois déjà que j’entends reprocher à l’Impératrice d’avoir gardé sur le trône des sympathies, des préférences, un fond de tendresse pour l’Allemagne. La malheureuse femme ne mérite en aucune manière cette inculpation, qu’elle connaît et qui la désole.

Alexandra-Féodorowna n’est Allemande, ni d’esprit ni de cœur, et ne l’a jamais été. Certes, elle l’est de naissance, au moins du côté paternel, puisqu’elle eut pour père Louis IV, Grand-Duc de Hesse et du Rhin ; mais elle est Anglaise par sa mère, la princesse Alice, fille de la reine Victoria. En 1878, à l’âge de six ans, elle perdit sa mère et, dès lors, elle vécut habituellement à la Cour d’Angleterre. Son éducation, son instruction, sa formation intellectuelle et morale furent ainsi tout anglaises. Aujourd’hui encore, elle est Anglaise par son extérieur, par son maintien, par un certain accent de raideur et de puritanisme, par l’austérité intransigeante et militante de sa conscience, enfin par beaucoup de ses habitudes intimes. A cela se borne, d’ailleurs, tout ce qui subsiste de ses origines occidentales.

Le fond de sa nature est devenu entièrement russe. D’abord et malgré la légende hostile que je vois se former autour d’elle, je ne doute pas de son patriotisme. Elle aime la Russie d’un fervent amour. Et comment ne serait-elle pas attachée à cette patrie adoptive, qui résume et personnifie pour elle tous ses intérêts de femme, d’épouse, de souveraine, de mère ? Quand elle monta sur le trône en 1894, on savait déjà qu’elle n’aimait pas l’Allemagne et spécialement la Prusse. Dans le cours de ces dernières années, elle a pris en personnelle aversion l’empereur Guillaume, et c’est sur lui qu’elle fait peser toute la responsabilité de la guerre, de « cette abominable guerre qui fait saigner chaque jour le cœur du Christ. » Lorsqu’elle a appris l’incendie de Louvain, elle s’est écriée : — « Je rougis d’avoir été Allemande ! »