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Plusieurs fois, je me suis amusé à calculer le temps qui s’écoule entre le moment où il est visible que les deux traîneaux s’avancent l’un contre l’autre et le moment où les izvochtchiks font le geste nécessaire pour éviter l’accrochage. A ma montre, j’ai compté de quatre à huit secondes. Des cochers de Paris ou de Londres prendraient leur décision au premier coup d’œil et la réaliseraient en moins d’une seconde.

Faut-il déduire de là que le moujik a la conception lente et l’intelligence obtuse ? — Non, certes. Mais son esprit erre toujours à l’aventure et ne se fixe jamais. Dans son cerveau, les impressions et les idées se succèdent éparses, discontinues, sans attache avec la réalité. Son état le plus habituel oscille entre le rêve et la dispersion mentale.



Mercredi, 6 janvier 1915,

Les Russes viennent d’infliger une défaite aux Turcs, près de Sarykamich, sur la route de Kars à Erzeroum.

Ce succès est d’autant plus méritoire que l’offensive de nos alliés est engagée dans une région montagneuse aussi haute que les Alpes, coupée de précipices et dont les cols dépassent souvent 2 500 mètres d’altitude ; le froid y est terrible actuellement et les bourrasques de neige continuelles. Aucune route, d’ailleurs, et tout le pays dévasté. L’armée du Caucase accomplit là, chaque jour, d’extraordinaires prouesses.


X. — PATRIOTISME DE L’IMPÉRATRICE


Jeudi, 7 janvier 1915.

Depuis neuf jours, une lutte opiniâtre se poursuit sur la rive gauche de la Vistule, dans le secteur compris entre la Bzoura et la Rawka. Le 2 janvier, les Allemands ont réussi à enlever l’importante position de Borjymow : leur front d’attaque n’est donc plus qu’à 60 kilomètres de Varsovie.

Cette situation est appréciée avec une extrême sévérité à Moscou, si j’en crois les impressions que m’apporte un journaliste anglais, connaissant bien la société russe et qui dînait hier encore au Slaviansky Bazar : — « Dans tous les salons et les cercles moscovites, me dit-il, on se montre fort irrité de la tournure que prennent les événements militaires. On ne s’explique