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Mardi, 22 décembre 1914.

Depuis deux jours, on sait, dans le public, que les opérations russes sont arrêtées et, faute de renseignements officiels, on juge la situation pire encore qu’elle n’est. Aussi, le Grand-Quartier général s’est décidé aujourd’hui à publier la note suivante :

L’adoption par nos armées d’un front plus restreint est le résultat d’une libre décision de l’autorité militaire. Cette adoption, toute naturelle, est la conséquence d’une concentration, en face de nous, de forces allemandes très considérables. De plus, cette décision nous fournit d’autres avantages. Il nous est malheureusement impossible de donner des explications d’ordre militaire à l’opinion publique.



Mercredi, 23 décembre 1914.

Mme P... infirmière-major dans une ambulance de première ligne et qui arrive de Pologne, m’atteste que les troupes russes sont admirables de bravoure intrépide et ardente. Pourtant, les épreuves ne leur sont pas ménagées ; combats ininterrompus et acharnés, pertes énormes sous le feu, marches harassantes dans la neige, surcroît de souffrances que la difficulté des transports et la rigueur du froid infligent aux blessés, etc..

Elle me cite en outre quelques exemples curieux de la douceur avec laquelle le soldat russe se comporte envers les prisonniers autrichiens et allemands.

C’est un trait du tempérament national. Le Russe n’a pas l’instinct belliqueux et il a le cœur très charitable. Comparées à l’épopée germanique, les bylinas russes sont expressives sous ce rapport : elles n’exaltent jamais la guerre, et leurs héros, leurs bogatyrs, ont toujours le rôle de défenseurs. De plus, le paysan russe est profondément accessible à la pitié. Il faut que le moujik soit dénué de tout pour refuser l’aumône à qui la lui demande « au nom du Christ ! » Et son âme s’émeut immédiatement à la vue d’un miséreux, d’un infirme, d’un prisonnier.

C’est cet instinct évangélique qui rend le soldat russe si prompt a se réconcilier avec son ennemi, à fraterniser avec lui. Pendant la retraite de 1812, les Français ont cruellement éprouvé la sauvagerie des Cosaques et la cupidité des Juifs ;