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5 200 000 shrapnels de 76 millimètres. Toute notre réserve est épuisée. Les armées auraient besoin de 45 000 coups par jour. Or, notre fabrication quotidienne atteint 13 000 au maximum ; nous comptons qu’elle atteindra 20 000 vers le 15 février. Jusqu’à cette date, la position de nos armées ne sera pas seulement difficile, mais dangereuse. Au mois de mars, les commandes que nous avons faites à l’étranger commenceront à arriver ; je présume que nous aurons ainsi 27 000 coups par jour, vers le 15 avril, et que, à partir du 15 mai, nous en aurons 40 000... Voilà, monsieur l’ambassadeur, tout ce que je peux vous dire. Je ne vous ai rien caché.

Je le remercie de sa franchise ; je prends quelques notes et je me retire.


Au dehors, sous le ciel grisâtre et terne comme de l’étain, un vent glacial balaye furieusement les rives de la Néwa, en chassant devant lui des tourbillons de neige. La désolation hivernale du grand fleuve, figé à perte de vue entre ses quais de granit, ne m’était jamais encore apparue aussi farouche : le paysage semble exprimer tout ce qu’il y a de tragique, de fatal et d’implacable dans l’histoire du peuple russe....



Samedi, 19 décembre 1914.

C’est aujourd’hui la fête patronymique de l’Empereur. On célèbre un service d’actions de grâces à Notre-Dame de Kazan Tous les dignitaires de la Cour, les Ministres, les hauts fonctionnaires, le Corps diplomatique y assistent, en grand uniforme. Le public se presse au fond de la nef, entre les deux rangs majestueux de colonnes accouplées.

Dans l’éblouissante clarté qui rayonne des lustres et des candélabres, dans le scintillement des icônes lamées d’or et incrustées de pierreries, le sanctuaire national est d’une magnificence fabuleuse. Pendant tout l’office, les chants se succèdent, avec une richesse mélodique, une pureté d’exécution, une ampleur de style, une solennité d’accent qui atteignent à la plus haute émotion religieuse.

Vers la fin de la cérémonie, j’avise le Président du Conseil, Gorémykine et, l’attirant derrière une colonne, je l’entreprends sur l’insuffisance du concours militaire que la Russie apporte à