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pertes excessives que ses troupes viennent de subir et par le fait, plus grave encore, que l’artillerie a consommé toutes ses munitions.

Je me plains à Sazonow de la situation qui m’est ainsi révélée ; je m’exprime sur un ton assez vif :

— Le général Soukhomlinow, dis-je, m’a vingt fois déclaré que toutes les précautions étaient prises pour que l’artillerie russe fût toujours abondamment pourvue de munitions... J’ai insisté auprès de lui sur l’énorme consommation qui est devenue le taux normal des batailles. Il m’a affirmé qu’il s’était mis en mesure de satisfaire à toutes les exigences, à toutes les éventualités. J’en ai même obtenu de lui l’attestation écrite... Je vous prie d’en référer, de ma part, à l’Empereur.

— Je ne manquerai pas de transmettre à Sa Majesté ce que vous venez de me dire.

Nous en restons là. Les sentiments que le caractère de Soukhomlinow inspire à Sazonow me garantissent qu’il tirera tout le parti possible de ma plainte.



Lundi, 18 décembre 1914.

J’apprenais hier que l’artillerie russe manque de munitions ; j’apprends ce matin que l’infanterie manque de fusils !

Je me rends aussitôt chez le général Biélaïew, chef d’État-major général de l’Armée au Ministère de la Guerre, et je lui demande des précisions.

Très laborieux, l’honneur et la conscience mêmes, il me déclare :

— Nos pertes en hommes ont été colossales. S’il ne s’agissait que de compléter les effectifs, nous y pourvoierions rapidement, car nous avons dans nos dépôts plus de 900 000 hommes. Mais, pour armer et instruire ces hommes, les fusils nous manquent... Nos magasins sont presque vides. Pour parer à ce déficit, nous allons acheter au Japon et en Amérique un million de fusils, et nous espérons arriver à en fabriquer cent mille par mois dans nos usines. Peut-être la France et l’Angleterre pourront-elles nous en céder aussi quelques centaines de mille... Quant aux munitions d’artillerie, notre situation n’est pas moins pénible. La consommation a dépassé tous nos calculs, toutes nos prévisions. Au début de la guerre, nous avions dans nos arsenaux