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avoir lancé sa déclaration de guerre, il a été pris de peur. Il a réalisé les formidables conséquences de son acte et il a voulu en rejeter sur vous toute la responsabilité. Peut-être même s’est-il raccroché à l’absurde espoir de faire naître, par son télégramme, un événement imprévu, inconcevable, miraculeux, qui lui permettrait d’échapper encore aux suites de son crime...

— Oui, cette explication s’accorde assez bien avec le caractère de Guillaume.

La pendule vient de sonner six heures.

— Oh ! comme il est tard ! reprend l’Empereur. Je crains de vous avoir fatigué ; mais j’ai été heureux de m’épancher librement avec vous.

Tandis qu’il me reconduit à la porte, je l’interroge sur les combats de Pologne.

— C’est une grande bataille, me dit-il, d’un acharnement extrême. Les Allemands font des efforts enragés pour enfoncer notre ligne ; ils n’y réussiront pas ; ils ne pourront plus tenir longtemps sur leurs positions. J’espère donc que, d’ici peu, nous reprendrons notre marche en avant.

— Le général de Laguiche m’a écrit récemment que le Grand-Duc Nicolas a toujours, comme objectif unique et décisif, la marche sur Berlin.

— Oui. Je ne sais pas encore où nous pourrons nous frayer le passage. Sera-ce entre les Carpathes et l’Oder ? Sera-ce entre Breslau et Posen ? Sera-ce au Nord de Posen ? Cela dépendra beaucoup des combats qui sont actuellement engagés autour de Lodz et dans la région de Cracovie. Mais Berlin est bien notre objectif unique... De votre côté, la lutte n’est pas moins acharnée. Cette furieuse bataille de l’Yser tourne à votre avantage. Vos marins se sont couverts de gloire. C’est, pour les Allemands, un grave échec, presque aussi grave que leur défaite sur la Marne... Allons, adieu, mon cher ambassadeur. Je vous répète que j’ai été heureux de causer aussi librement avec vous...


IX. — ACCÈS DE PESSIMISME : LA CRISE DES MUNITIONS


Mercredi, 9 décembre 1914.

L’incertitude qui règne sur les opérations militaires de Pologne, le pressentiment trop justifié des pertes énormes qu’a