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tasse de thé avant de me coucher moi-même. Je suis resté ainsi près d’elle jusqu’à deux heures du matin. Puis, comme j’étais très fatigué, j’ai voulu prendre un bain. J’allais entrer dans l’eau, quand mon domestique frappe à la porte, en insistant pour me remettre un télégramme : « Un télégramme très urgent, très urgent... un télégramme de Sa Majesté l’empereur Guillaume !... » Je lis ce télégramme, je le relis, je me le répète à haute voix... et je n’y comprends rien. Comment, me dis-je, Guillaume prétend qu’il dépend encore de moi que la guerre soit évitée ! Il m’adjure de ne pas laisser mes troupes franchir la frontière !... Ah ! çà, est-ce que je suis fou ? Est-ce que le Ministre de la Cour, mon vieux Fréederickz, ne m’a pas apporté, il y a au moins six heures, la déclaration de guerre que l’ambassadeur d’Allemagne venait de remettre à Sazonow ?... Je retourne alors dans la chambre de l’Impératrice et je lui lis le télégramme de Guillaume. Elle veut le lire elle-même, pour y croire. Instantanément, elle me dit : « Tu ne vas pas y répondre, n’est-ce pas ? » — « Non certes !... » Ce télégramme invraisemblable, extravagant, avait sans doute pour but de m’ébranler, de me démonter, de m’entraîner à je ne sais quelle démarche ridicule et déshonorante. Ç’a été juste le contraire. En quittant la chambre de l’Impératrice, j’ai senti qu’entre Guillaume et moi tout était fini et pour toujours. J’ai dormi profondément... Lorsque je me suis réveillé, à mon heure habituelle, je me sentais tout allégé. Ma responsabilité devant Dieu et devant mon peuple restait énorme. Je savais du moins ce que j’avais à faire.

— Moi, Sire, je m’explique un peu différemment le télégramme de l’empereur Guillaume.

— Ah !... Voyons votre explication !

— L’empereur Guillaume n’est pas courageux...,

— Oh ! non.

— C’est un comédien et un fanfaron. Il n’ose jamais aller jusqu’au bout de ses gestes. Il m’a souvent fait penser à un acteur de mélodrame qui, jouant le rôle d’un assassin, s’apercevrait soudain que son arme est chargée et qu’il va réellement tuer sa victime... Que de fois, déjà, nous l’avons vu s’effrayer lui-même de sa pantomime ! Quand il a risqué sa fameuse manifestation de Tanger en 1905, il s’est arrêté brusquement au milieu de son scénario... Je suppose donc que, aussitôt après